Les Camarades par Alligator
Tragédie sociale au ton résolumment réaliste et gauchiste. Et donc un film politique qui aborde la thématique de l'exploitation des ouvriers de manière frontale.
J'étais plus porté à voir dans le cinéma de Monicelli une tonalité légère et enjouée. Encore que La grande guerre contient son lot d'infortunes et de drames. Du reste, les personnages du Pigeon baignent dans un monde rude et pas loin d'être fruste sur bien des aspects. Si bien qu'on peut dire a priori que Monicelli fait bien parti de ces hérauts d'un cinéma italien prompt à faire fondre dans un canevas tragique des éléments de comédie ou bien plutôt le contraire. La comédie italienne a cette capacité à balancer du drame aux rires en quelques secondes, l'un appuyant les autres; continuelle culbute qui prend le spectateur au coeur. Quand les larmes ne savent plus d'où elles viennent.
Ce film là saute également d'un pas de douce valse à un tango fébrile.
L'on suit ces ouvriers lors d'un hiver turinois de fin de siècle, XIXe du nombre. Asservis à un temps, à des hommes, à leur estomac. Jusqu'à l'accident de fatigue, le bras arraché de trop. Et l'arrivée d'un trublion idéaliste interprété par un idéal Mastroianni. La grève se décide bon gré mal gré et nouera les destins de tous.
Le regard de Monicelli est cruel pour le patronat, cruel mais surtout amer, triste et le dernier plan avec la grille de l'usine qui se ferme sur l'image, emprisonnée dit tout.
Voilà un film qui sait jouer des émotions du spectateur. Avec quelques touches de drolerie, quelques caresses sentimentales et puis la brutalité d'un enfant qu'on tue, d'un couple qui se sépare sur le bord du rail, d'une bagarre qui se finit mal. Un souffle mortel, des rêves qui se brisent, une eau gelée dans la bassine le matin, le noir et blanc de ce film peut paraitre très orienté. Il l'est. Peut-on pour autant le taxer de caricaturer la figure patronale de ces temps pas si anciens, de la culture du profit, du capitalisme etc? Pas sûr. Les personnages sont finement dessinés, les acteurs sont prompts à leur donner une assise et une exactitude de bonne composition.
Au détour d'un carrefour, après l'école, le grand frère rosse son petit frère qui ne travaille pas bien à l'école. Il frappe fort, en pleurant, en criant qu'il doit travailler pour avoir un diplome. Le petit ne veut pas aller à l'école mais veut aller à l'usine comme son grand frère. La violence (ou l'amour) qu'il met à donner des coups à son petit frère est poignante et ne laisse pas d'interloquer. Il lui ramasse sa casquette, l'essuie, le mouche et ils repartent main dans la main. Cette petite scène à elle seule vaut de voir ce film. Pûre. Nette. Stupéfiante de vérité et de force.