Un film formellement maîtrisé, à la fois étonnant, dérangeant et ambigu. Il a un style assez clinique, notamment toute l'intro dans le tribunal, complètement aseptisé, totalement blanc et architecturalement sobre et cubique. On y retrouve cette fameuse ambiance de procès que j'aime tant, protocolaire, avec une belle rhétorique, en particulier entre maître Chedid (jouée par Natalie Tannous) et maître Fortin (joué par Pierre Chagnon, très actif dans le doublage, mais que l'on a peu vu au cinéma ces derniers temps apparemment).
Même si le procès en lui-même a une place centrale dans le récit, on ne restera pas au tribunal, et ce sera l'occasion d'étendre son sujet, notamment avec comme personnage principal une étrangère à l'affaire, une certaine Kelly-Anne (et non pas Kylian, que l'on pourrait confondre à l'oreille), jouée par Juliette Gariépy, révélée vraisemblablement grâce à ce film, que je trouve vraiment fascinante, dans son style proche de la psychopathie. En fait, elle embrasse le côté clinique du tribunal dans sa manière d'être.
Elle nous fera découvrir tout l'envers cyber de l'affaire en cours, notamment avec sa capacité de hacking. Le film se voudra assez didactique d'ailleurs, en expliquant le réseau Tor, avec le deep web et le dark web. Elle semble utilisée le Navigateur Tor (qui permet d'être incognito sur le web, pour faire simple), utilisant le moteur de recherche DuckDuckGo (moteur par défaut de ce navigateur, car respectant la vie privée). Elle a aussi une IA, personnalisée et qui tourne en local, évidemment. Elle utilisera le site "Have I Been Pwned", site authentique pour vérifier si votre adresse (ou celle de votre victime) ainsi que son mot de passe a fuité sur le web (peut-être devriez-vous vérifier aussi...). Elle utilise également une crypto-monnaie, le Bitcoin, en particulier dans la fameuse scène.
La fameuse scène de l'enchère, qu'elle gagne avec 20 bitcoins. Cela parait très peu. Mais si on compare avec l'euro, particulièrement en date du 13 octobre 2022 (date inscrite sur la vidéo de la caméra de surveillance peu de temps après cette scène), on tombe sur une somme équivalente à environ 380 000 euros. De quoi rendre la situation d'autant plus invraisemblable.
Le film essaie d'être un minimum réaliste dans la démonstration de l'utilisation de la technologie, même si quelques couacs paraissent ici et là. Notamment, avec la manière dont les pages se chargent, sans aucun temps de chargement (alors que le navigateur Tor est censé être plus lent qu'un navigateur normal). Ou encore l'adresse affichée, qui parait faussée. Par exemple, quand elle accède à la carte, il y a l'adresse "https://carte/" qui s'affiche, ce qui n'est pas une adresse correctement nomenclaturée. Mais bon, peut-être tout ceci est peu important, et moi-même manque-je de connaissance sur ce type de technologie.
Et je n'ai toujours pas parlé du sujet principal du film. On y parle de ces femmes qui ont une attirance pour ces criminels (on appelle cela "hybristophilie", c'est fou non). C'est ce sujet-là, spécifiquement que je le trouve ambigu dans son traitement d'ailleurs. Kelly-Anne rencontrera d'ailleurs Clémentine, jouée par une autre révélation : Laurie Babin. Elles sont les deux faces d'une même pièce, elles sont toutes les deux "hybristophiles", mais pas du tout de la même manière, et ont un comportement bien différent. Ce duo improbable est d'ailleurs assez fascinant, et semble presque touchant, amenant à leur montrer des facettes jusque-là insoupçonnées, notamment de la part de Kelly-Anne.
L'ambiance est très réussie, avec ses plans séquences composés de mouvements lents, majoritairement composé de silence, que ce soit le bruit de ventilation du tribunal, ou le bruit du vent dans l'appartement situé en haut d'une tour. On ajoute à ça quelques fulgurances musicales, composées par le frère du réalisateur : Dominique Plante.
Bref, un film qui m'a pas mal fasciné, notamment dans la multiplicité de ses sujets, qui s'interconnectent. Spécifiquement, Juliette Gariépy est vraiment hypnotisante dans son rôle, quasiment indécelable dans ses intentions, avec même une fin assez paradoxale, ou pas. Les Chambres Rouges nous conte une affaire (fictive) sordide, mais elle ne reste qu'une toile de fond à tout un univers sociopathe et sans état d'âme, ou presque. Un peu comme le poker, qui n'est pas un jeu de chance ou d'émotion, mais un pur jeu de calcul et de statistique, sans plaisir de jeu.
(Vu le 20 janvier 2024 en VOSTFR au cinéma)