Lait chaud. Son rouge
Caressons, toi et moi, si tu veux bien, l'évidence : on est face à un grand film. Un de ceux qui traversent les temps, sans bouger. Un de ceux qui sont faits pour éblouir, génération après...
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"The Red Shoes" c'est une sorte de paradis spécial pour moi, comme une bulle où communient trois plaisirs particuliers qui ne sont que trois variations sur le même thème. Qu'il s'agisse des corps en mouvement, de la composition visuelle ou de la musique, le film réunit en un seul endroit toutes ces choses qui me dépassent, et qui me dépassent plus particulièrement à un point où elles me sont les plus fascinantes : leur naissance.
Qu'est-ce qui pousse les danseurs à torturer leur corps au nom de l'art ? Qu'est-ce qui donne envie aux chefs d'orchestre ou aux directeurs de ballet de sacrifier leurs jours et leurs nuits pour quelque chose qui ne dure parfois qu'un seul soir ? Le plaisir passe-t-il nécessairement par la souffrance ?
Donner une réponse à tous ces questions c'est déjà abandonner tout espoir de formuler quelque chose de vrai, tant les raisons nous échappent.
Goethe disait : "Il en est des affaires comme de la danse : les personnes qui vont du même pas se deviennent nécessairement indispensables". Tout découle si naturellement dans "The Red Shoes" : la danseuse talentueuse charmant le metteur en scène talentueux, avant que le compositeur talentueux lui aussi ne fasse de même. Il n'y a presque aucun enjeu, l'accord est instinctivement harmonieux.
A mon sens, on s'en fiche des enjeux. Un tel film m'a semblé plus être une célébration de la place de l'art dans notre vie, une ode à ce je-ne-sais-quoi qui forme le cœur de chaque œuvre, ce qui pousse chacun et chacune à se dédier à son art. Jusqu'à un certain point. Et ce point est magistralement démontré par le tiraillement final, particulièrement horrible pour notre héroïne. Si l'art et l'amour sont comme deux frères, les mettre en concurrence est un acte de cruauté sans nom, une ode au fratricide.
Mais revenons en arrière, sur cette séquence qui a tant marqué les spectateurs, qui a fait couler tant d'encre, comme une sorte de traumatisme positif. Je pense qu'on pourrait réduire tout le film à la séquence du ballet. On a dit tellement de choses sur elle qu'on a oublié de souligner à quelle point cette dernière était profondément agaçante, tout comme le film en lui-même est agaçant, tant il accumule les magnificences sans pour autant nous laisser le temps de tout voir, voir tout à fait toute la beauté de ce qui nous est présenté. Il y a toujours trop de choses à regarder, trop de détails partout, partout. Les décors, les costumes, les musiques, les pas de danse, les expressions faciales, les regards. C'est trop c'est beaucoup trop. Dans un musée on peut passer autant de temps que nous voulons à admirer un tableau. Au cinéma, notre regard est toujours volé, on passe toujours à un autre plan. Cela donne alors une curieuse sensation de surenchère, enivrante pour certains, écœurante pour d'autres. Il y a aussi cet élément, cet amour du baroque, cette foi en l'existence d'un autre monde, où tout serait plus coloré, où la danse nous mènerait vers des pays lointains. Comme s'il était possible de se nourrir uniquement d'art.
Je me suis demandé tout à l'heure si le plaisir devait nécessairement passer par la souffrance. Il y a aussi cette autre séquence dans "The Red Shoes", qui n'est que l'envers de la précédente. Spoiler alert, elle concerne le moment où la voix d'habitude si mesurée d'Anton Walbrooke se déchire dans l'écho de la salle. Entre deux sanglots, il hoquète que le ballet des chaussons rouges sera quand même joué, même si quelque chose y manquera indéniablement. Qu'importe ce qui a pu se passer, le plus impressionnant est que le spectacle continue. Les artistes sont temporaires, l'art reste éternel. Si l'art empêche certains de mourir, est-ce que cela suffit pour justifier qu'on puisse mourir pour l'art ? Peut-être est-ce finalement cela qui nous pousse vers le processus créatif. Ce léger tremblement passager, cette sensation d'éternité qui nous étreint, lorsque nous ouvrons les portes de la création.
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Créée
le 15 nov. 2022
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