Les mots des blancs ne sont que mensonges

"Les Cheyennes " ou "Cheyenne Autumn" est un des derniers films de John Ford réalisé en 1964. On peut dire que la vision de Ford sur les indiens a bien évolué au cours des années jusqu'à ce film où il tente un hommage à la nation Cheyenne.


Enfin la nation Cheyenne. Pour ce qu'il en reste ! Ford a souhaité réaliser le film avec d'authentiques Cheyennes et n'en a pas trouvé suffisamment. Il a dû se dépanner avec des Navajos.


L'histoire racontée a au moins un grand fond de vérité puisqu'elle relate la migration vers 1877 de quelques centaines de Cheyennes, hommes, femmes et enfants compris, parqués dans la zone aride d'Oklahoma vers leurs terres ancestrales au Dakota ou au Wyoming. Voyage exténuant qui se termine par un massacre à Fort Robinson. La poignée de survivants gagnera le droit de rester dans les réserves des black Hills dans le Dakota.


Par ailleurs, le film présente un autre intérêt : celui de montrer comment une rumeur de quelques morts dans une attaque de ces indiens relayée par les médias de l'époque (il n'y a guère que les journaux) enfle au point que le nombre des victimes devient tel qu'une panique s'empare des populations et des milieux d'affaires entraînant le déploiement de moyens disproportionnés contre une bande de "pauvres diables". Je ne peux pas m'empêcher de penser que la mentalité des médias n'a pas tant changé que ça plus d'un siècle après malgré les progrès, les multiples possibilités de vérification et de contrôle des données et des informations divulguées. On en est toujours au même point si ce n'est pire…


Mais parlons du film que Ford a voulu majestueux.
Le film débute par une superbe scène d'exhortation au ciel ou au soleil du vieux chef indien qui lance dignement son peuple derrière lui pour la rencontre avec un membre du gouvernement qui ne viendra d'ailleurs pas. Devant l'impuissance des militaires et civils (les quakers) chargés de leur gestion, les enfants du vieux chef reprendront la route pour cette fois un périple de 2000 km vers le Nord.
J'ai instantanément fait le lien de cette puissante scène avec le même type de scène où Moïse entraine son peuple pour le sortir d'Egypte dans "les dix commandements". On doit même pouvoir élargir la comparaison à tous les films mettant en scène les exclus qui sont par la force des choses obligés de fuir ou errer sans fin.


Je m'interroge sur un point : sur les 2000 km entre Oklahoma et Dakota, il n'y a aucune raison d'aller faire un détour à l'Ouest par l'Utah ou l'Arizona et de passer par Monument Valley. Et même si cela était, il n'y aucune raison qu'au moins les deux tiers du film (je n'ai pas mesuré exactement) on voit les Cheyennes errer autour des paysages de Monument Valley. De plus, si ces "détails" peuvent ne pas choquer un Français pas familier de la géographie des USA , ils ont forcément dû surprendre plus d'un américain "well educated"…
Donc, cela a une signification. Le voyage des Cheyennes pour Ford n'est pas simplement un voyage physique mais est surtout un voyage spirituel qui doit passer par les terres sacrées des indiens.


Autre scène surprenante du film : l'intermède "rigolo" de Dodge City (au Kansas) qui, au passage, est sur le chemin direct Oklahoma/Dakota ...
Cette scène n'est pas là par hasard ni pour faire durer le film ni pour faire un entracte pour bouffer du pop corn. Cette scène n'est rattachée au reste du film que par la panique que certains blancs veulent provoquer dans la population. Comme elle est traitée sur un mode complètement déjanté avec les musiciens noirs jouant du banjo juchés sur un piano et Wyatt Earp qui s'essaie au poker, je me demande si Ford n'a pas voulu opposer les deux civilisations indienne, dite "sauvage" mais légitime sur le territoire et l'autre dite "civilisée" mais cynique, cruelle et pas à sa place sur le même territoire.


Autre point intéressant qui est abordé, c'est l'utilisation qu'un militaire peut faire d'un ordre qui lui est donné et l'interprétation qu'il peut en faire. Entre un Capitaine Archer qui essaie de mettre de l'humanité autant que faire se peut dans l'interprétation et un Capitaine Wessels, un prussien, qui applique jusqu'à l'absurde.
Côté casting,
Richard Widmark, excellent, joue le rôle du Capitaine Archer, au départ pas si pro-indien qu'on voudrait le penser si je me réfère à la discussion entre lui et la jolie institutrice Quaker qui s'opposent à propos des indiens que lui a connu et pratiqué comme combattants coriaces et vindicatifs et dont il conserve un reste de méfiance face à une vision plus romantique et optimiste tournée vers l'avenir.
Pour Ford, l'importance du rôle de Widmark est sûrement essentielle : il est le témoin, l'intermédiaire et le médiateur qui a combattu l'indien, l'a compris et le défend. Son importance est telle que c'est lui qui tient la voix off qui joue l'empathie et l'intermédiaire tout au long du film. Je ne sais pas jusqu'où on pourrait dire qu'il est le représentant de Ford dans le film.


Justement la jolie institutrice quaker Deborah, c'est Caroll Baker (l'ex Baby Doll) qui se révolte contre l'indifférence de ses coreligionnaires.
Les indiens : joués par des acteurs hispaniques dont Ricardo Montalban. La femme d'un des chefs est jouée par Dolorès del Rio que j'ai trouvée trop hiératique, pas assez je ne sais pas quoi. Bref, pas géniale.
Le ministre de l'intérieur joué par EG Robinson dont j'ai apprécié son élévation au dessus de la meute et surtout interrogeant le portrait de Lincoln pour tenter de deviner ce que lui aurait fait à sa place. Même s'il cabotine un petit poil.
Pour finir, Karl Malden dans le rôle de l'officier Wessels à l'origine du massacre de Fort Robinson par l'application stricte et aveugle aux ordres.


"Les Cheyennes" est donc un western fort intéressant et puissant que Ford a voulu profondément humaniste. Il va bien au-delà de la simple description de la "balade" des indiens Cheyennes pour rejoindre leurs terres ancestrales.

JeanG55
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le 26 mai 2021

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