La vision des indiens au travers des films de John Ford a bien changé au fil du temps. Il y a d'abord l'indien comme catastrophe naturelle, horde hurlante contre laquelle il faut se défendre à tout prix. Et puis vient l'indien belliqueux, l'adversaire honorable. Enfin le portrait devient plus ambivalent, l'indien on ne le comprend pas, on n'est pas du même monde, mais il peut malgré tout être l'ami du blanc, sous réserve. Et enfin, dans Les Cheyennes, l'indien est la victime vaincue et injustement spoliée, mais dont la dignité reste intacte.
Car ce que nous voyons dans Les cheyennes, c'est une bande d'indiens épuisés en butte à toutes les avanies, cherchant à retrouver leur terre ancestrale. Les longues marches, preuves s'il en est de la résilience d'un peuple, il y en a plusieurs dans l'histoire américaine, la plus connue étant celle des cherokees, la tristement célèbre Piste des larmes.
Le film de John Ford, magnifique visuellement, oscille entre des passages trop simplistes, comme la gentillesse et la force sans réserve de la jeune quakeresse, et des visions plus élaborées, comme l'officier polonais ivre qui soudain compare l'armée américaine aux cosaques tuant des polonais. Et bien sûr, on peut regretter la fin. Malgré tout, Les cheyennes est une fresque magistrale et romantique (on l'aurait sans doute préférée plus sèche et noire, peut-être le film est-il anachronique), offrant de très beaux moments. Il y a par exemple cette déclaration écrite sur le tableau, tout de suite cela campe un caractère c'est très touchant.
Une mention, comme je l'ai vu dans d'autres critiques du film sur le site, pour l'étrange scène avec James Stewart campant un Wyatt Earp humoristique. C'est amusant, mais c'est long, et on se demande ce que cela vient faire ici, tant cela tranche sur le ton du film, bien que l'humour n'en soit pas absent.
Il y a également cet officier d'origine prussienne, qui obéit aveuglément aux ordres et provoque ainsi une catastrophe : pour la première fois peut-être, John Ford semble dire qu'on n'a pas toujours raison d'obéir aveuglément.
Et il y a le secrétaire d'état à l'intérieur, agacé par les hommes d'affaires et politiciens sans scrupules qui l'entourent, qui n'hésite pas à intervenir personnellement, à se mettre en danger : John Ford restera, jusqu'au bout, un patriote. Certains le lui reprocheront. C'est oublier les questionnements qui parsèment son œuvre. Les Cheyennes est-il vraiment un tournant? L'armée est sacro-sainte, peut-être, mais de combien de Massacre de fort apache se rend-elle coupable? John Ford filme la légende, suivant le précepte de L'Homme qui tua Liberty Valance, mais au fond, a-t-il jamais cessé de la questionner?