Les Climats est un film de pur cinéma : il ne dit pas grand chose, pour se concentrer sur les seules qualités formelles. D'aucuns pourront s'y ennuyer, comme devant les films d'Antonioni, auquel on le compare souvent - très juste aussi le rapprochement avec Voyage en Italie de Rossellini lu sur SC, je n'y avais pas pensé.
NBC prend son temps. Il faut donc sans doute avoir une âme contemplative pour ne pas s'impatienter devant une scène comme celle du dîner, ou lorsqu'il reste longtemps sur un visage. J'ai pensé à Bruno Dumont, qui sait aussi dégager une grande force d'un plan fixe et long.
Long et stable comme le climat, avec quelques accidents, comme des orages (que l'on entend subtilement en bruit de fond) ou des averses (cf. le beau plan où Isa marche le long d'un tramway sous la pluie). Ainsi l'accident, ainsi la scène de sexe, viennent perturber ce déroulé mélancolique. Ils permettent une rupture de rythme et relancent l'attention du spectateur. Car NBC n'agit pas en auteur souverain, il cherche à être suivi par son spectateur, tout en étant d'une grande exigence dans ses fondamentaux : peu de dialogues, des images soignées à l'extrême. Détestant généralement les scènes de sexe violentes, typiques du fantasme masculin, j'ai pourtant marché à celle-là, tant elle est bien construite. J'ai pensé à Mes séances de lutte le très sous-estimé film de Doillon. La scène d'amour avec Bahra, tout en abstraction, répond intelligemment à cette première scène très crue.
Les ellipses aussi - celle du dialogue sur la plage, celle du miroir dans l'appartement de Serap - étonnent et contribuent à maintenir l'intérêt. Un peu d'humour aussi, avec la scène du minibus où Isa est empêché dans sa niaise déclaration par des entrées incessantes de l'équipe de tournage.
Enfin, il y a le visage extraordinaire de Ebru Ceylan, qui semble changer, comme un ciel, suivant les climats, surprenant sans cesse : dans le premier plan du film, sur le mont où elle se met à pleurer, sur la plage lorsqu'elle est quittée, au café lorsqu'elle retrouve Isa, au petit matin dans la chambre d'Isa, enfin sous la neige. Étonnant.
Bref, un film pour cinéphile ! Je ne me suis pas du tout ennuyé, pas plus d'ailleurs que devant Winter Sleep, malgré ses 3h15, qui a aussi ses morceaux de bravoure, plus impressionnants encore (la scène des billets jetés dans le feu). Bref, un cinéaste rare, que je vais continuer à suivre.
Je recommande le bonus du DVD, commentaire de l'ingénieur du son (français) de quelques scènes : on ne prête jamais assez attention au son, et ce qu'il explique est passionnant.
8,5