La note est un brin généreuse, car "Les compagnes de la nuit" souffre de quelques défauts rédhibitoires, mais le cœur du film s'avère audacieux et captivant - à la fois très sombre et jubilatoire - et c'est bien là le principal à mes yeux.
Passons sur le bandeau introductif sentencieux, très à la mode à l'époque (rappelons-nous de "Razzia sur la schnouf"), prétendant mettre en garde le public contre un fléau de société (en l'occurrence les réseaux de prostitution), et sur la séquence d'ouverture axée polar, avec la découverte de trois cadavres dans divers quartiers de Paris.
En réalité, on va suivre le récit en flashback d'Olga, une gamine pas gâtée pour l'existence, qui à 18 ans à peine sort de maison de correction, accompagnée d'un gamin né en captivité. La jeune femme a derrière elle un passé de petite délinquance, et s'est déjà prostituée.
De sorte que son seul réflexe est de rejoindre une amie dans la capitale, intégrant de fait un hôtel de passe, façade visible d'un réseau particulièrement retors et efficace, mené de main de maître par Jo (Raymond Pellegrin) et ses associés (Jane Marken parfaite en mère maquerelle et Noël Roquevert impressionnant de cruelle affabilité).
Car si Olga fait partie des "volontaires" pour tapiner, Jo et ses sbires ont une autre catégorie de cibles, les oies blanches naïves, séduites et manipulées par le julot bellâtre pour finalement atterrir elles aussi sur le trottoir. Les système montré dans le film s'avère particulièrement bien rôdé, mais on pourra tout de même tiquer sur son efficacité véritable, tant il nécessite de niaiserie et de crédulité de la part des victimes.
Quoi qu'il en soit, le réalisateur Ralph Habib se montre courageux dans ses choix (dialogues très crus, nudité à l'écran…), et "Les compagnes de la nuit" se révèle un excellent documentaire sur la prostitution à Paris dans les années 50 - après la fermeture des maisons-closes en 1946 : rafles policières, nuit dans un foyer de religieuses, solidarité entre gagneuses, grossesse imprévue… Toutes les facettes du métier sont évoquées.
Dommage que certaines faiblesses viennent quelque peu plomber le film, principalement un scénario imparfait, lesté de maladresses et d'incohérences, et une mise en scène sans relief, avec une incapacité à filmer les quelques scènes d'action.
Heureusement, la distribution remarquable permet de combler en partie ces défauts : en plus des comédiens déjà cités, il faut mentionner Suzy Prim, Marthe Mercadier, Nicole Maurey ou encore Pierre Cressoy (un peu terne) dans les seconds rôles.
Et par-dessus tout, la réussite des "Compagnes de la nuit" repose sur les frêles épaules de la formidable Françoise Arnoul : je n'ai pas toujours été sensible à son charme un peu canaille, mais ici la jeune actrice est formidable dans la peau d'Olga, à la fois insolente et résignée, midinette et manipulatrice. Une prestation de premier plan qui justifie à elle-seule le visionnage de ce petit film noir.