La simple évocation des noms de Pressburger et Powell évoque naturellement des films tels que Le Voyeur et Les Chaussons Rouges, deux exemples brillants de l’impact du Technicolor où l’image se métamorphose en une forme artistique à part entière. Cependant, parfois éclipsé par d’autres œuvres, Les Contes d’Hoffman s’impose comme un héritier digne des Chaussons Rouges, tout en portant en lui un côté bien plus radical, qui sera héritage incontestable à Demy. Cette réalisation cinématographique opératique s’inscrit dans un genre qui mériterait une plus grande exploration, tant il déborde de possibilités.
Le lien entre Les Contes d’Hoffmann et le travail de Jacques Demy, notamment Les Parapluies de Cherbourg et Une Chambre en Ville, se manifeste à travers une exploration de la tragédie et de l’intensité émotionnelle au sein de leurs récits. La musique devient un véhicule pour les émotions, accentuant la mélancolie et l’intensité des histoires d’Hoffmann. Comme Demy, Powell aborde des histoires d’amour malheureuses avec une profondeur et une poésie qui transcendent les frontières du cinéma. Les Parapluies de Cherbourg propose une vision réaliste et touchante de l’amour et des rêves brisés, tout comme les contes d’Hoffmann qui portent en eux la douleur de l’amour inaccompli, révélant des destins poignants marqués par des amours déçues et des chemins de vie entravés.
En mettant en évidence les parallèles entre les créations de Powell et Demy, il est clair que ces réalisateurs partagent une volonté de plonger au cœur des émotions humaines, de les exprimer à travers la musique et le visuel, tout en évoquant les aspects sombres et douloureux de la vie et de l’amour.
Il est difficile d’imaginer un réalisateur autre que Powell pour donner vie à l’opéra d’Offenbach, car ce film incarne tous les éléments fondamentaux de son style cinématographique, allant vers le tragique par une orchestration quasi-baroque. Le duo Pressburger et Powell possède une capacité intrinsèque à saisir l’imaginaire et à le matérialiser, s’emparant d’un art pour en créer un autre.
Si Les Chaussons Rouges avait déjà intégré des numéros de spectacle mariant danse et musique, Les Contes d’Hoffmann cristallise cette approche, donnant naissance à une performance de plus de deux heures. C’est un tourbillon artistique incessant, une expérience imprégnée d’émotions constantes. Les chants deviennent la quintessence du tragique, tandis que les éléments visuels rappellent la pureté du cinéma dans toute sa splendeur.
La palette de couleurs insuffle vie aux émotions profondes des mondes fantastiques, chaque nuance témoignant des performances vocales poignantes et des émotions sous-jacentes. L’éclairage, semblable à celui d’une scène théâtrale, devient atmosphère propre d’un moment précis, créant ainsi des ambiances spécifiques pour chaque acte.
Bien que les rencontres initiales semblent simples et évidentes, les amours de chacun des contes prennent fin de manière irrémédiable. Malgré le motif de répétition, ils conservent tous leur propre fraîcheur en ayant un éclat distinct. En dépit des déceptions et les ruptures constantes, Hoffmann renouvelle sans cesse son penchant pour le romantisme et la passion ardente. Entre confidences à des inconnus et moments de débauche, ses tristes passions reprennent vie en boucle. Les trois récits, captivants et empreints de douleur, s’enchaînent sans se répéter exactement.
Tel un tableau romantique, la beauté n’est jamais sereine, un style expressionniste entoure la dimension féerique venant l’étreindre jusqu’à y insérer un climat presque anxiogène. Les psychologies défaillantes se dressent dans le décor à la manière d’anomalies dans ces univers au premier abord utopique : lumières éthérées et ombres exagérées, il ne fait aucun doute que le désespoir est là et qu’il guette le moindre recoin.
A travers sa symphonie visuelle, le film trouve sa place parmi les œuvres qui continuent à captiver et à fasciner, démontrant que l’art du cinéma peut prendre des formes infiniment variées et intemporelles.