Les Demoiselles de Rochefort par reno
En revoyant Les Demoiselles de Rochefort, on est frappé par les premières images de l’arrivée sur Rochefort. Scènes documentaires sur une route de province de l’arrivée d’une caravane de forains. Jusqu’au pont transbordeur. Là les saltimbanques descendent, s’étirent s’animent et dansent, le thème si connu des Demoiselle est à peine évoqué tandis que la traversée de la Charente s’amorce. Et soudain le pont sur lequel le film s’ouvre prend une dimension métaphorique.
Arnaud Desplechin définit ainsi la position du cinéaste français qui pour lui, « œuvre dans l’impossibilité de refaire à son tour les films américains qu’il a vus et aimés. » (Cahiers du cinéma n°550). Cette définition s’applique tout particulièrement à Demy faisant Les Demoiselles de Rochefort, qui est le fantasme français de la comédie musicale à l’américaine, dont Gene Kelly est la figure. Ainsi Rochefort est filmé comme un ailleurs, un endroit rêvé, à la limite incertaine entre la France et l’Amérique. Et le pont transbordeur, de prosaïque devient poétique selon qu’il est photographié latéralement dans sa fixité ou filmé de dessus dans la transition. Les personnage s’étirant au sortir de leurs camions, se réveillent dans un rêve.
L’espace idéalisé que devient Rochefort est le lieu de tous les possibles et à ce titre s’affranchit des contraintes évidentes du réalisme, où chacun se met à chanter et à danser à tout bout de champ. De ce point de vue le film est évidemment une réussite et Demy n’aurait rien à envier à ses illustres références que sont Minnelli et Kelly, sinon de venir après. L’enchantement de films tels Chantons sous la pluie ou du cinéma de Minnelli, est corolaire d’une interrogation sur le rapport du cinéma, du rêve et de la réalité, et partant, sur la nature du spectacle. Or il y a entre Chantons sous la pluie et Les Demoiselles de Rochefort un écart fondamental. Le film de Donen et Kelly, entièrement tourné en studio s’achève sur une image en extérieur qui signe le triomphe de la vérité sur l’artifice. Rochefort chez Demy est un beau rêve et celui-ci avait prévu de faire mourir le personnage de Jacques Perrin, écrasé par la caravane qui emmène Catherine Deneuve. Finalement ils partent tous les deux pour Paris, séparément et sans s’être trouvés.Maxence ne monte pas dans le bon wagon, la promesse de Paris est un mensonge ; Rochefort n’est pas l’Amérique, Delphine ne rencontrera pas Maxence. Tout le film est une parenthèse merveilleuse et les lendemains de fête – combien superbes eût-elle été – conservent toujours une mélancolie inaltérable. Les Demoiselles de Rochefort est l’histoire de cette mélancolie, le regret du rêve.