Critique rédigée en novembre 2016


Voilà maintenant près de 50 ans que Jacques Demy a fait rêver l'Hexagone avec le magnifique mélodrame des Parapluies de Cherbourg, puis, surtout avec Les Demoiselles de Rochefort, réunissant plus d'1,3 million d'entrées en France en 1967. L'âge d'or du cinéma français, la douce époque où la passion prenait le pas sur l'accessibilité du film, l'époque de inspiration, l'époque qui manque beaucoup à de nombreux cinéphiles !


Rien qu'en 1966, il suffisait d'une petite histoire comme celle-ci pour faire ressortir des milliers de français de la salle une joie et un plaisir que personne n'a su cacher. Cette histoire se déroulant en l'espace de quatre jours (d'un vendredi à un lundi), c'est celle de Delphine et Solange, deux soeurs jumelles ("nées sous le signe des gémeaux", qui ne connait pas cet hymne à la joie d'être frère et soeur?) sympathiques et spirituelles ne vivant que pour leur bonheur, celui de danser et de chanter. Leur métier, c'est donner des cours de solfège et de danse. Mais elles sont surtout à la recherche de l'Homme de leur vie, qu'elles ne connaissent pourtant pas... Deux forains donnent lieu une fête un dimanche et c'est à ce moment que le destin de plusieurs personnages vont se croiser, et changer à jamais leur vie sentimentale.


Peut-on parler d'une intrigue? Oui, parce qu'à défaut d'être une histoire d'amour banale, elle est entremêlée par plusieurs petites sous-intrigues, notamment par...


une courte histoire de meurtre par le seul véritable méchant du film, le vieux Subtil Dutrouz suite à un drame passionnel faisant écho aux aventures sentimentales des protagonistes. Ainsi que par des découvertes de secrets de famille (que Boubou est le vrai fils de Simon Dame ou encore que son ex-femme vivait dans la même ville que lui)


...ainsi que des mystères nullement dévoilés sur les personnages et leurs origines (notamment le fait qu'on n'apprenne jamais qui est le père des jumelles), qui ne sont pas sans rappeler ceux des Parapluies de Cherbourg sorti deux ans plus tôt. En effet, dans ce film aussi, l'héroïne est élevée seule par sa mère, sans que l'on sache qui est réellement son paternel. A la différence, c'est qu'on en apprend un peu sur le passé des jumelles, par rapport au personnage de Geneviève.


Il est constant de se demander pourquoi Les Demoiselles de Rochefort plaît tant. Tout d'abord, parce qu'en plus d'avoir une écriture scénaristique impeccable, chaque personnage fait mouche, possède un petit lot d'émotion à apporter à l'intrigue et aucun ne fait tâche...


(malgré quelques faux-raccords lyriques vis-à-vis de la vie des personnages, notamment lors de la scène de la chanson de Simon: ce dernier raconte à Solange que sa femme avait "des jumelles [...] qui vivaient en pension", et cette dernière ne s'y identifie à aucun moment?),


Chaque scène a son importance pour la suite de l'intrigue, les scènes musicales servent en priorité à présenter chaque personnage (c'est par leur biais qu'on nous enseigne sur leur expérience et leurs désirs), notamment celles de Maxence, Delphine ou encore Andy. D'autres comme Marins amis amants ou maris, Toujours jamais et Chanson d'un jour d'été pour ne citer qu'elles reflètent davantage leurs situations actuelles (sensation de bonheur ou de mécontentement), le tout sublimé par des chorégraphies à l'agilité et la délicatesse éclatantes.
Tel la première fusée allant sur la lune la même année 1967, le spectateur plonge dans un univers coloré (des couleurs bien chaudes bien-sûr, et non les couleurs sombres de la sinistre dernière partie des Parapluies) qui est un véritable délice pour la rétine et les nerfs.


Tout dans ce film respire la bonne humeur, nulle autre réalisateur français que Demy n'a su mieux représenter la joie de vivre au cinéma sans être niais ou dégoulinant de bons sentiments compassés. Même Les Parapluies, chef d'oeuvre de même qualité mais pas pour les mêmes fins, comportant un bon nombre de moments ou la tristesse de l'histoire et du destin des personnages va à l'encontre de la vivacité de l'image. Ici, il n'y a pas du tout cette tension. Les couleurs, les costumes pétillants, les décors et des musiques sautent de l'écran et volent droit vers les centres du plaisir du cerveau ; ce bonheur arrive en crescendo dès le début et ne nous lâche plus (même à la fin la musique n'arrive pas à s'arrêter alors que le générique est fini).


La distribution du casting est géniale et ne manque pas d'immenses V.I.P. de l'époque: Catherine Deneuve qui retrouve le duo Demy / Legrand après le succès des Parapluies ; feu Françoise Dorléac, soeur biologique de Deneuve ; les immortels Danielle Darrieux et Michel Piccoli ; le prince en puissance Jacques Perrin, et les trois américains, Gene Kelly, George Chakiris (célèbre meneur des Sharks de West Side Story) ainsi que l'oublié Grover Dale qui interprète avec Chakiris l'hilarant duo des forains. Le petit qui interprète Boubou possède une palette de répliques hilarantes tournant principalement autour du style vestimentaire choqué de ses deux aînées, et le film en contient bon nombre.


Visuel euphorisant, chansons inoubliables, lyriques adorables, casting réjouissant, et une touche de féminisme tout en délicatesse ; ai-je autre chose à ajouter pour témoigner de mon amour pour ce film ? L'un des indispensables d'une DVDthèque, une véritable petite friandise dont je ne peux me passer d'y goûter annuellement. Un chef d'oeuvre.

Créée

le 18 déc. 2020

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