Brute Force, c’est la rencontre d’une fine équipe : Jules Dassin d’abord, un des réalisateurs majeurs du film noir, le photographe William H. Daniels avec qui Dassin collaborera un an après dans La cité sans voiles (qui lui permettra de gagner l’Oscar de la meilleure photographie) et qui réalise ici un travail exceptionnel, le compositeur de musique Miklós Rózsa et enfin le scénariste Richard Brooks qui deux ans avant écrivait le scénario de Les tueurs de R. Siodmak et l’année d’après l’excellent Key Largo de J. Huston et qui réalise lui aussi du très bon boulot. Sans oublier le producteur Mark Hellinger qui, comme dans La cité sans voiles, imposa des choix assez contestables (ici, les flashbacks servant à insérer – artificiellement - des personnages féminins), se distinguant donc, lui, négativement.
Cette équipe fait écho à celle du film, emmenée par l’excellent – et encore jeune et inexpérimenté - Burt Lancaster, ainsi qu’aux personnages secondaires jouant un rôle important tels que le gardien chef Munsey bien sûr, figure de l’autorité, homme double, aux penchants sadiques et homosexuels (projection inconsciente d’un producteur castrateur ? Amusons-nous à le croire) comme le prouve la scène de la torture ; le docteur, aussi alcoolique que philosophe, voix de la raison, à la perspicacité éclairante, figure paternelle vertueuse, ayant toujours un mot pour rire à travers des répliques cinglantes ; Calypso James, et ses chansons improvisées – pour ne citer qu’eux. Comme il a su souvent le faire, à l’image de son chef d’œuvre incontesté Les Forbans de la Nuit, Dassin dresse une galerie de portraits sociaux et psychologiques remarquable du monde carcérale, aidée par le splendide noir et blanc de William H. Daniels.
La scène dans le bureau du directeur où, grâce à sa sagacité et à sa verve inspirée, le Dr Walters dévoile les intentions cachées de Munsey met remarquablement en scène les enjeux de pouvoir et les oppositions dont le film traite : violence et répression du système, égoïsme et cynisme des puissants, soif inextinguible de pouvoir, perpétuation des inégalités contre force collective, sacrifice pour l’autre, désir irrépressible de justice. Une dichotomie rappelant Les bas-fonds de Frisco et un parallélisme avec l’opposition politico-économico-philosophique d’alors entre capitalisme et communisme (n’oubliant jamais que Dassin a été membre du parti communiste, avant de le quitter, et qu’il a été victime de la fameuse Chasse aux sorcières).
Après Les forbans de la nuit, au niveau de La cité sans voiles, et sans aucun doute bien au-dessus du Rififi chez les hommes, Brute Force constitue certainement le meilleur film de Dassin.