Le milieu carcéral fut le théâtre de nombreux films, dont certains entrèrent dans la postérité, ceux-ci ayant une capacité singulière à nous attacher à des personnages et à sonder la société d’une manière tout à fait spécifique. En voyant Jules Dassin se prêter à l’exercice avec Burt Lancaster en tête d’affiche avec Les Démons de la liberté, il est à peu près certain que l’on embarque pour un film qui va nous marquer.
C’est dans la pluie et la morosité que le film débute, suite à la mort inexpliquée d’un détenu, dont le corps est acheminé hors de la prison. Une façon, enfin, de sortir de ces murs mais probablement pas celle qui était souhaitée à l’origine. Là résident de nombreux prisonniers aux parcours et aux profils divers, s’accrochant à la vie chacun à leur manière, essayant de garder un lien avec le monde extérieur dans le but de le retrouver un jour. La vie n’est certainement pas simple dans ce pénitencier où règne la loi de la jungle, où les plus faibles peuvent être des proies pour les plus forts et, surtout, où il règne un climat de tension intense entre les détenus et le personnel de surveillance. Un climat notamment alimenté par le sinistre capitaine Munsey, redouté par tous, le véritable dépositaire de la loi en ce lieu.
Les Démons de la liberté ne cherche pas spécialement à s’épancher sur le passé des différents personnages que l’on découvre ici. On ne saura pas vraiment ce qui les a menés dans cette prison. Nous pourrons savoir, tout au plus, pour combien de temps ils en ont. L’idée est, certainement, de neutraliser au maximum le jugement du spectateur à l’égard de ces hommes, leur quête mutuelle de liberté étant le vrai élément central du film. Elle fait partie, quelque part, de tous les films se déroulant en milieu carcéral mais, ici, elle est d’autant plus motivée par le discours ici délivré, qui montre comment la violence ne fait qu’engendrer la violence. Dans Les Démons de la liberté, l’autorité devient l’ennemie principale, celle-ci privant les individus de leur liberté quand elle est poussée à l’extrême, usant de la violence pour ne faire qu’en générer davantage, menant vers une escalade finissant hors de contrôle.
Pour souligner son propos, le film va, bien entendu, choisir quelques prisonniers comme piliers de l’intrigue et comme repères, mais ce n’est pas vraiment en eux que va résider la clé du film. En effet, le personnage de Burt Lancaster est celui qui incarne le mieux cet irrépressible désir de liberté, ce souhait d’accéder à ce droit fondamental, mais il n’est qu’un catalyseur ou, pire, le cobaye du cinéaste, pour montrer ce que cette violence autoritaire peut engendrer. Car c’est surtout dans les lignes de dialogue du docteur que vont se trouver les vérités, passées ou futur, lui agissant comme une force positive cherchant à faire preuve d’empathie auprès des prisonniers, et à défendre leur cause. A l’inverse, le capitaine Munsey, campé par un remarquable Hume Cronyn, aux traits prononcés et au flegme angoissant, agit comme la force négative qui enflamme le désir de liberté des détenus, et qui réveille en eux leurs pulsions violentes.
Les Démons de la liberté offre une immersion parfois presque documentaire dans ce milieu, tout en exposant un point de vue construit sur l’importance de la liberté chez les êtes humains, et sur les dangers des dérives autoritaires en société. Suivant un schéma qui pourrait paraître classique, le film de Jules Dassin jouit d’une vraie maîtrise en termes de réalisation, magnifiée par la performance de ses acteurs principaux, Burt Lancaster et Hume Cronyn en tête. Impossible d’oublier de sitôt cet antagoniste remarquable qui pourrait allègrement faire partie des références en la matière au cinéma, alors qu’il semble pourtant avoir été peu cité à ce sujet. Le titre original du film, Brute Force, s’avère encore plus éloquent, et nous assène, en effet, un bon coup qui nous secoue.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art