Avec toujours ce souci de l’abstraction qui caractérise les grandes œuvres cinématographiques, ce très talentueux réalisateur qu’est, et qu’il a très souvent été, Steven Spielberg, réussit à faire de ce film d’agressions animales, une œuvre absolument inégalée dans le genre qu’elle traite, mais également un modèle de mise en scène directement hérité de l’un de ces maîtres, en l’occurrence le grand Alfred.
Tant qu’à filmer un monstre, autant lui donner une âme et ce grand requin blanc en possède une sacrée. Il est la représentation du mal qui ravage à peu près tout sur sa route, cet Attila des fonds marins, qui fait s’abattre le déluge sur ses proies, cette machine à broyer de l’humain. Car malgré son hégémonie et sa domination sur à peu près toutes les strates de nôtre jolie planète, l’humain demeure une nourriture et une potentielle proie pour tout prédateur qui lui arrive au-dessus de la taille.
Alors bien sûr, on va entendre l’éternel discours écolo-bobo des "caqueteurs" tendance EELV, accusant le film d’être à l’origine de la mauvaise réputation dont souffre la pauvre bêbête aux mâchoires acérées, de véhiculer une mauvaise image de l’animal face à ce monstre qu’est l’homme, et ainsi faire pleuvoir sur cette œuvre admirable des simagrées et autres délires non sensées.
Certains esprits ont même été jusqu’à penser, et en plus le dire si possible assez fort, que c’était un film fasciste qui s’en pourfendait la jeunesse et cette extraordinaire révolution culturelle post-Woodstock qui allait changer le monde et nous amener vers cette belle démocratie dans laquelle nous vivons aujourd’hui…
Peu importe. Revenons à l’œuvre elle-même, et admettons qu’en termes de construction, aussi bien narrative que lorsqu’il s’agit d’alimenter et d’entretenir une tension, la mise en scène de Steven Spielberg est une évidence. Au-delà des aspects purement spectaculaires, du fait des possibilités techniques qu’offrait alors le cinéma avec cette fausse créature animatronique en polyuréthane, le rendu est toujours aussi convaincant, près de quarante cinq ans plus tard.
C’est avec cette maestria qui caractérisait déjà son bijou de tension pure, Duel, c'est-à-dire une vraie capacité à tenir un script tout en sachant s’en écarter avec intelligence, et cette faculté qu’il a d’assurer une sorte de polyvalence permanente, oscillant habilement entre pure spectacle bon-enfant et abstractions élégantes, cette manière assumée de faire un cinéma grand public qui ne prend pas son spectateur pour un idiot, tout en étant prolifique et absolument rentable pour les Majors.
Le trio gagnant Scheider-Dreyfuss-Shaw est absolument remarquable dans sa complémentarité et offre ces quelques moments de pur bonheur inépuisable, comme cette scène de cuite mémorable avant de partir à la guerre.
Jusqu’au bout de sa logique narrative tendant à un duel final mémorable, et toujours avec cette manière « artisanale », car malgré ces apparats de fabriquant de blockbusters, le monsieur possède une indéniable touche artisanale, et c’est même ce qui fait la force de ses meilleures œuvres, le film suivra un cheminement évident, génialement entretenu par des moments autre qui font encore aujourd’hui de Jaws une œuvre inégalée dans le genre auquel elle se confronte.