SPOILERS (pas si néfastes pour l’appréciation de l’œuvre)
Les Dents du Singe, pour faire simple, c’est l’histoire d’un pauvre qui va chez le dentiste parce qu’il a mal aux dents. Le dentiste, après l’avoir anesthésié, lui vole ses dents et le laisse à l‘abandon dans un terrain vague. Au même moment, un singe en vélo klaxonne et réveille le pauvre qui pourchasse alors le dentiste. La police s’en mêle et poursuit le pauvre. Il réussit à s’échapper, rentre chez lui édenté et malheureux. Le film finit avec le singe qui vole les dents du dentiste pour les rendre au pauvre.
La critique-analyse :
Ce court-métrage d’animation, fait avec la technique du papier découpé, ne peut pas se détacher du processus d’élaboration de son scénario. Sorte de cadavre exquis scénaristique, 10 patients de la clinique psychiatrique de La Borde font avancer l’histoire à tour de rôle, aidés par René Laloux et les docteurs Jean Oury et Félix Guattari. Un exercice de style insolite et un résultat surprenant.
Laloux donne toutes libertés aux scénaristes. Ainsi, on ressent les tourments des patients mais aussi leur envie de s’en sortir.
Le film est triste. Le décor est une ville vide pleine de hauts bâtiments et d’arbres sans feuilles. Des dentistes volent nos dents, des policiers nous courent après sans raison. L’ambiance pesante est accentuée par une musique dissonante (on n’est pas encore avec Goraguer mais presque).
On fait des cauchemars. Métaphore cruelle de la maladie des patients-scénaristes: lorsque le dentiste enlève les dents une à une du pauvre, lui, en plein cauchemar, voit partir un à un les membres de sa famille. (Une superstition voudrait même que la perte des dents dans nos rêves serait signe de perte future de richesse, ici humaine). Les trous laissés dans sa bouche sont les vides causés par la maladie, personnifiée par le dentiste. Un film muet qui choque par son imagerie donc, malgré un dessin très primaire, par rapport à ce qu’on peut produire maintenant (ce qui ne lui enlève pas de son charme non plus, c’est quelque chose de très spontané et intime).
Le film aura aussi ses moments burlesques, notamment lorsque le pauvre échappe à la police à la manière d’un Chaplin. Comme une touche d’espoir, personnifiée par le geste du singe, on assiste à un happy-end.
Une œuvre intime et faite par des non-professionnels qui s’en sortent très bien, on ne jugera pas le résultat. On ne peut que féliciter cet exercice de style et la démarche thérapeutique de l’écriture : tout comme pour n’importe quel auteur qui créé, ce film leur servira surement d’exutoire et d’exorcisation de douleurs. Ce sera leur chef-d’œuvre. Le site m'oblige à m'être une note, je ne peux que mettre un 10 (pour la démarche et pour que l'oeuvre soit plus visible).
Ce film est un cri d’espoir pour n’importe quel auteur : le processus de création était tel que Laloux dira même, lors d’un entretien, qu’il n’a plus jamais éprouvé autant de liberté et de plaisir à faire un film.