Musil était un auteur-philosophe dont la vision atypique a mis du temps à faire valoir sa place dans le nouveau siècle. Premier roman de l’auteur devenu premier film de Schlöndorff, c’est une œuvre qui dans les deux cas respire une ignorance avouée (dans la façon à la fois que dans le thème) remplaçant l’expertise sans faille qui semblait obligatoire pour devenir ou écrivain avant 1906, ou cinéaste avant 1966. Törless est un double coup de fouet artistique.
Celui de Schlöndorff est immédiatement devenu une création d’avant-garde & il fait toujours turbiner les méninges à ce jour : exhibant l’éducation austro-hongroise qui sert de germe à l’Allemagne que l’on sait, il fait de la sévérité & de la monotonie du système les inspirations à des projets à moitié insensés qui ne peuvent être que malsains. On parle ici de torture physique & mentale ainsi que d’homosexualité (trois choses égales en horreur à l’époque de Musil) qui s’extériorisent à demi-mot & en cachette en guise de punition contre un voleur.
Ce voleur, c’est Basini, & c’est le personnage principal, car Törless (tels les philosophes en lesquels s’érigent les à la fois Musil & Schlöndorff) est le simple observateur. Il remet en cause à lui seul le tort prétendu de celui qui contemple sans agir, pourtant sa curiosité morbide vaut bien les exactions sadiques de ses comparses quand il s’agit de torturer Basini à titre d’expérience. Cette expérience, Törless y donne bon fond par sa lucidité qui n’a de tort que son insensibilité (laquelle se confronte à l’inverse à une sensibilité presque anachronique du personnel éducateur) tandis que les tortionnaires exsudent par la violence brute une autre volonté d’aller au fond des choses.
Le plus pathétique de tous est toutefois Basini, pour qui l’expérience consiste à tout subir. Ce naturel provoque l’irritation de ceux qui croient philosopher mais dont le crescendo de cruauté se révèle inapte à appuyer leurs convictions préconçues ; une spirale qui les oblige à le pousser plus loin encore – de plus en plus par simple orgueil, jusqu’à la rupture. Chaque comportement, tout abominable soit-il, est une ouverture philosophique en soi.
On peut facilement détester tous les personnages & supplier pour un peu d’air frais en-dehors de cet internat vicié par des pensées adolescentes trop promptement tournées en axiomes, mais aucune conclusion n’est évidente & il faut vraiment donner du sien pour justifier qu’on n’aime pas le film.
Il semble que Schlöndorff nous livre, en plus de scènes franches – parfois glaçantes – qui donnent toute leur substance au secret & au non-dit, tout le nécessaire philosophique dont il faut user pour bien le comprendre, ce qui, on s’en rendra compte, ne se résume pas à dire que le film ouvre une nouvelle ère.
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