En fin d'été 1962, le public de la Mostra de Venise, debout, ovationne un long-métrage durant quelques minutes. Un distributeur nord-américain s'arrache alors le film qui obtiendra, l'année suivante, l'Oscar du meilleur film étranger, ainsi que le Samuel Goldwyn International Award lors de la cérémonie des Golden Globes. Film culte au Japon, il se voit également récompensé du Blue Ribbon Award en tant que meilleur film international.

En France, c'est une autre histoire. Personne ne souhaite s'investir dans cette œuvre où un rapport ambigüe entre un adulte et une enfant de 10 ans reste le sujet principal. Surtout pas après le scandale international que Lolita, réalisé par Stanley Kubrick, vient de provoquer aux quatre coins du globe. C'est le succès public états-uniens qui engendre une timide première en France, en novembre 1962, en la présence remarquée de personnalités (Agnès Varda, Alain Robbe-Grillet, Maurice Druon, Joseph Kessel ou encore Henry Torrès) qui, par ailleurs, encensent le film. Cybèle Ou Les Dimanches De Ville D'Avray (mystérieusement abrégé en Les Dimanches de Ville D'Avray sur l'affiche) se voit néanmoins méprisé par la critique hexagonale qui n'y voit qu'une vulgaire histoire de pédophilie sans en comprendre la teneur psychologique. Le public français, lui, fera un triomphe au film avec pas moins de 1 494 317 entrées selon les sources du CNC.

Au cours de l'attaque d'un convoi lors de la guerre d'Indochine, Pierre, un aviateur, croit avoir tué une petite fille, avant d'être lui-même abattu. Il survit au crash mais est devenu amnésique. Lorsqu'il rencontre Françoise, une enfant abandonnée par son père dans un pensionnat religieux, un lien magique les réunit : une complicité enfantine, un amour très pur et confiant. Mais la beauté est suspecte et l'étrangeté apparente de leurs rapports les met indéniablement en danger...

Librement inspiré du roman éponyme de Bernard Eschasseriaux publié en 1959 aux éditions Grasset, Les Dimanches De Ville D'Avray se voit tourné sur les lieux-même de l'action. Artiste peintre de son état et jeune cinéaste, Serge Bourguignon pose ainsi ses caméras à Ville-d'Avray, une banlieue bourgeoise de l'ouest de Paris et magnifie les étangs de Corot, lieu de promenade dominicale de Pierre et la petite Françoise. Directeur de la photographie des premiers films de Truffaut, Chabrol, Clément et de la quasi intégralité des œuvres de Melville, Henri Decaë sublime les extérieurs naturels de la petite banlieue sous la direction appliquée du metteur en scène. Instaurant une atmosphère particulière à la faveur du climat de l'hiver 1961, où Noël s'est déroulé sous une couche de neige assez importante, le long-métrage n'en est plus que spontané, à l'image du mouvement de la Nouvelle Vague. Pourtant, Serge Bourguignon n'a absolument rien à voir avec la bande à Godard et Truffaut, il préfère faire cavalier seul et refusera par ailleurs de nombreux projets soumis par plusieurs producteurs américains et japonais en ce début des années 1960. Sa carrière cinématographique en sera d'autant plus chaotique, sans fil conducteur, s'achevant sur un dernier long-métrage tourné au Japon en 1985 et relatant la fascination d'un photographe d'âge mûr envers une adolescente de 14 ans. Durant les années 1990, son nom apparaîtra néanmoins sur plusieurs documentaires paysagés pour la télévision.

Cybèle Ou Les Dimanches De Ville d'Avray met en scène Hardy Krüger, comédien germanique souvent cantonné dans des rôles de nazis à cause de son physique de parfait aryen, et la petite Patricia Gozzi, régulièrement acclamée pour la perfection de son jeu du haut de ses 12 ans. Si son personnage (qui a 10 ans dans le film) est indiscutablement bouleversant, sa maturité reste néanmoins bien peu crédible. S'exprimant comme une femme d'au moins 30 ans, Françoise alias Cybèle (divinité personnifiant la nature sauvage) s'égare entre son attitude enfantine et sa précoce personnalité qui lui font perdre beaucoup d'innocence car, en ce sens, la plupart des dialogues ne sont pas vraiment adaptés pour une personne aussi jeune. Une erreur que ne fera pas Kubrick avec sa Lolita. Ou encore, en 1980, Raphaële Billetdoux avec son Elisabeth, génialement incarnée par Pénélope Palmer, dans le tristement méconnu et pourtant magistral La Femme Enfant, narrant le même type de relation "interdite" entre un homme et une enfant.

Ici, ce sont surtout les oppositions entre celles et ceux qui comprennent la situation et celles et ceux qui l'exècrent qui se voient passionnantes. L'analyse originelle de Bernard Eschasseriaux (accusant Bourguignon d'avoir misérablement trahi son ouvrage) offre incontestablement l'envie de découvrir son roman pour en découvrir les véritables rouages. Quoi qu'il en soit, les rares personnages prenant la défense de Pierre (dont Nicole Courcel, excellente en femme éperdument amoureuse) donnent le la à une œuvre aussi pure que magnifique, bien que parfois maladroite comme le sont la plupart des premiers films. Car malgré les accusations d'Eschasseriaux, Les Dimanches De Ville d'Avray est une réussite formelle qui prend à bras le corps un sujet épineux passible d'emprisonnement, voire de condamnation à mort dans certains pays. La stupidité des jugement hâtifs corroborée par une culture catholique hypocrite et malheureusement fortifiée par quelques siècles d'histoire. Mais aussi par la perversion maladive d'êtres humains tordus, lâches et frustrés qui s'en prennent à l'innocence enfantine et qu'il faut absolument combattre. Sujet épineux, je vous dis.

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