Le goût du sang
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Après vingt ans d’expérience en tant que que cadreur et réalisateur de nombreuses publicités pour la télévision, Ridley Scott veut faire ses débuts de réalisateur au cinéma. Ayant du mal à être engagé sur un projet, il décide d'en développer un lui-même. En raison d'un budget limité, il se concentre sur l'adaptation d'une œuvre tombée dans le domaine public. Il engage initialement le scénariste Gerald Vaughan-Hughes pour écrire un script sur Guy Fawkes et la conspiration des Poudres, mais ce projet ne trouve pas de financement.
Ridley Scott trouve alors un autre projet dans le domaine public, une nouvelle de Joseph Conrad, intitulée The Duel et publiée en 1908. Le scénariste Gerald Vaughan-Hughes est de nouveau engagé pour écrire l’adaptation de cette nouvelle sur le grand écran.
The Duellists est présenté au festival de Cannes 1977, où il obtient Prix de la première œuvre.
Dans la nouvelle The Duel de Joseph Conrad qui est basée sur une histoire véridique pour le moins singulière : en 1794, le capitaine Dupont reçut l’ordre d’empêcher un dénommé Fournier, un homme colérique et adepte des duels, de se rendre à un bal, parce qu’il lui était reproché d’avoir tué au cours d’un duel (qui avait eu lieu le matin même) un jeune strasbourgeois. La rencontre entre les deux hommes donna lieu à un duel à l’épée, le premier des vingt et quelques qu’ils disputèrent au cours des années suivantes. Les duellistes scellèrent même un accord selon lequel ils devaient s’affronter dès qu’ils se trouvaient à trente lieues ou moins l’un de l’autre.
Dans le film de Ridley Scott, les deux hussards de l’armée napoléonienne, D’Hubert et Feraud, sont engagés dans une absurde rivalité à mort pour des raisons qu’eux-mêmes finiront par ignorer. En effet, en plaçant comme préalable à toute leur relation l’indéfectible question de l’honneur, le film ne se concentre jamais sur le « pourquoi » de leur antagonisme, mais sur le « comment » et, en exposant les subtilités du règlement interne de l’armée impériale, pousse la logique de leur opposition jusqu’à l’absurde. Il y a quelque chose de pathétique dans l’orgueil de ces hommes qui, non seulement voient leur destin modifié par l’ampleur de cette rivalité, mais en viennent même à ne vivre leur existence que par le prisme de celle-ci. Le destin des femmes les fréquentant étant d’ailleurs un cruel révélateur à leur aveuglement.
D’ailleurs, si Michael Moriarty et Michael York étaient au départ pressentis pour incarner D’Hubert et Feraud, on ne peut que saluer les performances de leurs remplaçants : Keith Carradine apporte à D’Hubert une secrète élégance qui ne fait que renforcer le mystère du personnage. Quant à Harvey Keitel, dans le rôle de Feraud, il est absolument tétanisant, évoluant constamment sur le fil de la folie sans jamais basculer d’un côté ou de l’autre, et joue de l’absence concrète de motivations du personnage pour en renforcer l’inquiétante imprévisibilité.
Revenons en 1975, où Stanley Kubrick réalise l’extraordinaire, le somptueux Barry Lyndon, le film de toutes les excentricités, de tous les extrêmes, et surtout la référence absolue en matière de film en costumes. Les moyens de Ridley Scott ne lui permettent pas de satisfaire à la même exigence (moins d’un million de dollars de budget), mais la photographie et la lumière de son film visent manifestement à rappeler à l’écran les splendeurs picturales convoquées par Barry Lyndon.
Après le succès immense de la partition musicale classique du film de Stanley Kubrick, Ridley Scott insiste pour centrer son film autour de sa musique. Le compositeur Howard Blake s’est ainsi vu donner libre cours à son imagination par le réalisateur et son producteur, le film devant être conçu autour de sa composition.
The Duellists est indéniablement prometteur. La photographie est incroyablement léchée, travaillée, et Ridley Scott fait un travail de chercheur en art pictural, inversé, du détail à l’ensemble. Nombre de ses images sont éclairées, composées comme des reproductions de natures mortes en clair-obscur. Tout est fait avec maniérisme, le cinéaste se focalisant sur ses bonnes idées, ainsi, la nature morte au fruit ventru, à la bouteille pleine cadrée dans les premières séquences, à la première rencontre des duellistes réapparaît à la fin du film avec une bouteille entamée, un fruit coupé (le temps a passé, et les adversaires ne sont plus ceux qu’ils étaient).
Le montage souffre malheureusement d’une fougue un peu naïve, en soient témoins les séquences de combat où Ridley Scott insiste pour insérer des extraits de celles déjà passées (précautions inutiles dans un film qui ne consiste guère que dans l’accumulation desdites scènes de combat). Ridley Scott historien a ses qualités, ses défauts, mais ses défauts vont demeurer, surtout pour les historiens, toujours malmenés par les libertés prises par Ridley Scott.
Au cours du dernier duel, particulièrement magistral sur le plan visuel, Ridley Scott utilise l’environnement : un très beau décor naturel, superbement cadré et photographié, pour donner à l’affrontement une dimension supplémentaire et significative. La beauté de la nature vient ici former un contraste très intéressant avec la violence obsessionnelle des duellistes. Et puis le film est tourné en majeur partie en France, à Sarlat et ses alentours, notamment le château de Commarque et le château du Repaire. Le pays sarladais est, de plus, une région humide qui correspond à l'esthétique que souhaite donner Ridley Scott à son film.
The Duellists possède une beauté merveilleuse et inattendue de l’image, le lyrisme débordant du film seront un véritable festin, magnifié par le nouveau traitement de l’image. Cependant, le montage brutal et outrageusement explicatif, la simplification de l’écriture des personnages jusqu’au symbolisme le plus littéral viendront ternir le tableau. Au moins, peut-on dire de Ridley Scott qu’il est déjà fidèle à son style, à ses idées : toute la carrière future du réalisateur est ainsi contenue en germe dans son honorable The Duellists.
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Créée
le 8 nov. 2023
Critique lue 6 fois
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