"Les Enchainés" (Notorious) est un des nombreux films de Hitchcock que j'ai toujours hautement apprécié.
C'est un film d'espionnage mais c'est surtout un film qui raconte une belle histoire d'amour. Le film est superbement réalisé aidant à faire monter une mayonnaise qui prend assez vite jusqu'à un dénouement qu'on espère heureux. Je l'ai vu très jeune (à la télé) , vu et revu régulièrement. Aujourd'hui, encore, je me surprends à frémir dans la scène finale ... C'est dire !
L'histoire de base :
1946. La guerre vient de s'achever. Pourtant d'authentiques nazis réfugiés en Amérique du sud tentent de faire renaître un IVème Reich (enfin, je suppose parce que ce n'est pas vraiment dit). Les américains introduisent un agent féminin, Alicia Huberman, dans cette Diaspora brésilienne pour savoir ce qu'ils trament.
Le sujet n'a d'importance que pour mettre en avant des gens dangereux qui peuvent nuire à Alicia.
Parce qu'en parallèle, le film nous narre une autre histoire qui est celle d'Alicia et de l'agent secret , Devlin, qui l'a recrutée pour cette mission. Et Alicia et Devlin tombent profondément amoureux avant même de démarrer la mission à hauts risques.
Le film tourne ainsi autour du personnage principal d'Alicia joué magistralement par Ingrid Bergman.
Alicia est un personnage ambigu, complexe, plein d'un passé de femme "futile" mais surtout paumée. Citoyenne américaine mais d'origine allemande et dont le père, américain, vient d'être condamné pour haute trahison au profit des nazis. A la fois fragile par les contradictions qu'elle vit et forte puisqu'elle décide d'accepter la mission de pénétration du milieu nazi finalement comme une opération de rachat (de la faute du père).
C'est un rôle en or que la caméra d'Hitchcock met en scène de façon virtuose.
Des gros plans dans les scènes très intimes avec Cary Grant (qui n'est ici qu'un faire valoir !) où la caméra se focalise d'abord sur le regard d'Ingrid Bergman qui chavire entre le ravissement de l'instant et l'inquiétude de l'avenir. Des plans moyens quand la relation entre Devlin et Alicia semble s'estomper lorsque, par exemple, elle comprend ce qu'elle a à faire. Même si le spectateur a bien compris qu'ils s'aiment intensément, l'un et l'autre ont peur de l'avenir ou de la pertinence de cette passion dans le contexte de la mission qui va consister pour Alicia à séduire un des nazis.
Un coup de génie de Hitchcock est de ne mettre qu'une musique minimale sur ces scènes intimes entre Cary Grant et Ingrid Bergman renforçant l'importance des chuchotis sur fond des bruits de la ville en arrière-plan. Comme si l'amour dans le couple est très fragile à ce stade là.
Des seconds rôles de très bon niveau,
Cary Grant bien sûr dont le personnage ne parvient pas à s'avouer sa passion devant les enjeux de la mission contribuant à alimenter ce climat de masochisme dans le couple qu'il forme avec Ingrid Bergman.
Claude Rains, fantastique dans le rôle de nazillon sous la férule de sa mère abusive. Une scène superbe lorsqu'il se rend compte de son infortune. La caméra est en plongée alors qu'il monte les escaliers renforçant l'impression d'accablement qui le submerge et de petitesse du personnage devant les emmerdements qui l'attendent. Je ne serais pas loin de penser que Claude Rains vole la vedette à Cary Grant.
La mère abusive est jouée par une actrice en fin de carrière, Léopoldine Konstantin. Elle joue le personnage du "maître à penser" de Claude Rains. Il faut la voir reprendre du poil de la bête quand Claude Rains, la queue entre les jambes, lui avoue sa boulette. Et comment qu'elle prend les choses en main après avoir allumé une clope, j'allais dire à la façon d'un homme.
Finalement, "les enchainés" est un film où c'est les femmes qui mènent la danse ...
Et la réalisation de Htchcock ! Elle fourmille d'idées. On en a déjà parlé avec Ingrid Bergman.
Mais entre la scène sur le champ de courses où on ne voit pas le regard d'Ingrid Bergman, caché par d'immenses jumelles où se reflète autre chose ou encore le mouvement de caméra qui pointe le trousseau de clés avant et après la remise d'une clé manquante, c'est un festival où les fondus enchainés laissent persister le regard d'une scène à l'autre.
N'oublions pas la dernière scène où la caméra, cruelle, cette fois en contre-plongée, en bas de l'escalier signifie le début des ennuis très sérieux de Claude Rains (et la fin du film).
Un chef d'œuvre.