"Les Enfants Loups, Ame et Yuki" est le nouveau long métrage de Mamoru Hosoda, connu pour "La Traversée des Temps" (2006) et "Summer Wars" (2009). Il décrit dans son récit de presque deux heures l'apprentissage de la vie de deux enfants mi-hommes mi-loups élevés par une mère dont le courage n'a d'égal que l'amour qu'elle leur porte.
L'émerveillement qu'on peut ressentir à la vue de ce film débute dans l'observation attentive d'une affiche en tout point merveilleuse. Que voit-on sur celle-ci ?
Hana, la mère, porte à bout de bras ses deux enfants, à l'apparence humaine mais avec leurs oreilles et leurs queues de loups. Ils semblent regarder, droit devant eux, le monde, la nature les environnant, bref, la vie qui met en éveil leurs sens. Si les deux bambins, fragiles, se cachent encore derrière la protection de leur mère, cette dernière, quant à elle, arbore un sourire léger mais déterminé. Ce sourire, c'est son arme la plus dévastatrice face à la rudesse de son histoire, face à la mélancolie qu'elle ne peut s'empêcher d'éprouver face à son passé. Le vent souffle fort, mais elle reste debout pour donner à ses deux enfants la chance de pouvoir réussir. Et finalement, le soleil l'approuve et est au rendez-vous, ses rayons magnifiant l'image.
Dans l'inconscient populaire de notre société occidentale, qu'est-ce qu'un loup ?
Ce dernier est souvent pris comme un symbole d'isolement, d'insociabilité, et, au final, de différence. En effet, combien de chansons et de textes utilisent le terme de "loup solitaire" ? Ici aussi, ces représentations sont incarnés par l'Homme-Loup que rencontre Hana au début du récit. Toujours seul, un peu brut de décoffrage, il est au final assez sensible et totalement dévoué à sa famille, à sa "meute".
Le film cherche par cette image du loup à faire une fable sur la différence par une allégorie assez peu usitée au grand écran. Hosoda avouera par la suite que le thème principal de son oeuvre reste l'éducation. Mais on parle alors d'éducation malgré la différence et tout le drame psychologique qu'elle peut véhiculer.
Ne tombant jamais dans le pathos, Hosoda parvient à éviter de tirer les larmes de ses spectateurs, réussissant par là-même le coup magistral d'unir à merveille le film pour enfants et celui pour adultes. Les scènes d'une tendresse inouïe sont légions, et plairont autant aux petits pour leur allure animée qu'aux grands pour leur côté réaliste. Les larmes viennent alors, mais non pas par sanglots larmoyants, mais plus au rythme de la musique de Takaji Masakatsu, peut-être un poil trop présente. Celle-ci, loin d'être entêtante et lancinante comme celle d'un Hans Zimmer, s'adapte à merveille à cette découverte continuelle du monde que font les jeunes loups. Douce et apaisante, elle rappelle à quel point la vie peut être un émerveillement. On ne peut s'empêcher de parler de ce morceau qui magnifie une scène extraodrinaire d'exaltation physique sous la neige et en fait peut-être la plus belle du film.
L'histoire trouve sa puissance d'écriture dans la durée sur laquelle elle s'étend (13 ans, comme un cycle naturel). La beauté de ce film réside aussi dans la différence (encore !) de perception que peuvent en avoir les spectateurs. Si une certaine sensibilité est nécessaire pour apprécier cette histoire, chacun aura tour à tour l'impression d'assister à un drame, à une comédie, à une aventure, ou encore à un voyage. C'est là ce qui rapproche le film des animés de Miyazaki, qui n'a cependant jamais narré d'histoires à la fois aussi graves et réalistes (hormis peut-être Porco Rosso). Tout est mêlé, avec en toile de fond le rapport à la nature. Celui-ci est omniprésent dès qu'Hana décide de s'installer à la campagne. Ce thème fait entrer de plain-pied l'oeuvre dans la lignée des récents animés japonais. On retrouve là l'héritage historique du shintoïsme, religion ancestrale de l'île.
Ainsi, le dessin, assez simple et décousu lorsqu'il s'agit de dessiner les personnages, est en revanche d'une précision pure et touchante lorsqu'il met en scène les éléments de la nature intervenant dans le récit. Les premières images du film le montrent bien. On retrouve cette idée avec les rêves que fait Hana. Alors qu'on pourrait penser que ces derniers, tenant de l'imaginaire, seraient comme floutés, on les retrouve très beaux et appliqués, comme pour nous dire que la réalité se trouve finalement dans la symbolique et non dans le matériel.
Toutes les mères de famille ne pourront qu'être touchés par le personnage d'Hana.
Celui-ci cristallise toutes les valeurs d'un monde parfait à la japonaise : abnégation, respect, modestie, dévouement et courage.
Au final, ses valeurs font autant d'elle une véritable louve. Elle qui est la moins animale de la famille, est prête à tout pour protéger ses enfants et leur apporter une éducation leur correspondant, jusqu'à l'isolement le plus complet et au renoncement, sans entêtement, de la société (arrêt de ses études, partir pour ne plus se faire remarquer, etc...). Toutes les caractéristiques d'une louve. En effet, alors qu'au début du film, elle cherche à se rapprocher des autres, comme le témoigne ses premiers pas vers l'homme-loup, elle finit par fuir la ville et son activité bourdonnante. Elle garde néanmoins un certain sens de la vie sociale, comme le prouve sa quasi soumission au personnage du vieillard qui passe son temps à lui dire ce qu'il faut faire et est une sorte de Clint Eastwood dans "Gran Torino", en mode soft. Ce sentiment de soumission est alors légitimé par le fait de connaître peu de choses de l'agriculture vivrière. On ne peut que rester soufflé devant son comportement, alors que dans la société française, la plupart des gens restent butés sur leurs positions, même en cas de tort.
Enfin, sans vouloir dévoiler l'intrigue, le côté réaliste du récit est renforcé par l'évolution des chemins suivis par les deux enfants, Ame et Yuki. Au contact de la nature, ceux-là s'épanouissent, et on ne peut que penser à tous les campagnards que nous connaissons, et qui, il est vrai, paraissent plus proches des réalités que les citadins que nous sommes.
En bref, ceux qui sont réceptifs à la poésie de l'animation japonaise ne pourront sortir de la salle que bouleversés par ce déchaînement de beauté visuelle et morale. Les symboles sont en masse et sonnent comme autant d'enseignements. Quelques jours sont même nécessaires pour reprendre goût au béton de notre trottoir. Et pour oublier cette envie persistante de partir, loin. Pour refouler le désir de vivre comme un loup solitaire.