Tel un peintre, Jia Zhangke revient patiemment et résolument, au fil des années et de sa filmographie, vers sa toile, un portrait ambitieux et sans concession de la Chine contemporaine. Le décor est souvent le même, celui de la province de Shanxi, une région industrielle en déclin frappée par la modernisation forcée de la Chine. Au centre de la toile, nous retrouvons Zhao Tao qui traverse les époques et les longs-métrages de son époux sans jamais changer.
Les Eternels est une nouvelle pièce à l'édifice de Jia Zhangke qui, tout comme dans son précédent film Au-delà des montagnes, raconte une histoire d'amour tourmentée au fil de trois époques qui reflètent l'évolution, ou plutôt la dégradation, de la Chine. Le nouveau film de Jia Zhangke n'est toutefois pas une accusation au vitriol du capitalisme chinois, comme a pu l'être A touch of sin.
Traversée par une tendre mélancolie, le film se concentre davantage sur ses protagonistes, leurs tourments, leur relation faite de passion et de trahison, à l'image de l'idylle impossible de Cold War. Si critique sociale il y a, elle est plus discrète, plus subtile : la pègre des années 1990 est remplacée par des hommes d'affaire aux allures respectables, les petites villes industrielles ont laissées place à des forêts d'immeubles impersonnels, les valeurs traditionnelles (honnêteté, droiture) s'effacent au profit du mensonge et du vol.
Qiao, qu'interprète Zhao Tao, affronte avec abnégation cet environnement sauvage et parvient à maintenir sa place dans le monde malgré tous les obstacles. Bin, autrefois chef de la pègre locale, tente de s'adapter mais finit pas perdre le contrôle et s'avouer vaincu. Ces deux destins contraires se veulent ainsi être le symbole d'une société impitoyable.
Si vous êtes coutumiers de l'oeuvre de Jia Zhangke, Les Eternels peut présenter le risque de décevoir par son manque d'audace. Le cinéaste chinois s'enferme dans les mêmes thèmes, avec les mêmes personnages, sans réellement apporter quelque chose de nouveau à son portrait de la Chine. La critique sociale et politique est sans surprise voire même convenue. La romance, quant à elle, souffre des nombreuses ellipses et de personnages trop souvent mutiques. Le film s'achève ainsi en plein suspens, comme si notre peintre n'avait pas réussi à donner de la cohérence et de la force à son oeuvre.