Quand les chatons deviennent des guépards, on entre alors dans une singulière jungle humaine où les refuges sont des chausse-trappes, le piège un instinct de survie, la passion un jeu du chat et la souris ou du fauve et de l'antilope. À cette différence près que, contre une représentation biaisée et idéologique du XXIe siècle, n'est pas proie qui l'on croit et n'est pas chasseur qui l'on pense, quelques porte-flingues ou paparazzi pour mafiozzi jamoux mis à part.
C'est ce que narre tout en suspens, étrangeté et style ce film de l'inénarrable René Clément dans une veine partagée entre l'univers oppressant d'Hitchcock ou des Diaboliques de Clouzot et celui plus fantaisiste et drôlatique d'un Georges Lautner jeune pousse.
Surprenant encore que convenu - Cocteau dirait: "Un coup de baguette fait revivre le lieu commun. Il arrive que le même phénomène se produise pour un objet, un animal. L’espace d’un éclair, nous « voyons » un chien, un fiacre, une maison, « pour la première fois »." Un thriller poétique, en somme, qui se voit éclore d'un début en trombe et furtif proche d'un de Broca, où, déjà, le jeune héros s'agit comme un chat sur les pare-chocs ou les vitres des voitures qui passent pour échapper à une meute de tueur qui aboie et qui flingue.
Le jeune héros est un chat Casanova que son passif rattrape et qui trouve asile chez un ecclésiastique, d'abord; dans l'immense château que n'hantent en apparence que trois félins, ensuite. Ces félins ? Deux humaines mystérieuses et un gros chat. Parmi ceux-ci, une petite chatte trop gentille qui va apprendre à devenir une chimère à la croisée de la lionne et du serpent, comme l'est son aînée. Dans cette jongle de pierre et de bois, le chaton, lui, mène une chasse de guépard traqué par tout un safari d'amères loques venu des USA et découvrir que les plus charismatiques des fauves sont ceux que l'on dresse le mieux et que l'on enferme d'autant plus aisément dans une cage.
Sur cette scène dépaysante d'un spectacle pourtant ordinaire, de coups de théâtres plus au service d'une atmosphère et d'une réflexion sur la nature humaine et les caractères des sexes, on retrouve Alain Delon (Le Samouraï, Le Guépard) qui se métamorphose sous nos yeux, troquant sa peau de jeune premier à voix douce caché sous un ton de mauvais garçon pour celle plus grave, froide et désespérée qu'on lui connaîtra par le futur. Opère aussi sa mue, à son côté, la séduisante panthère très aristochatte à l'ordinaire, qu'elle jouisse en Barbarella dans la graveleuse machine de Duran Duran ou qu'elle miaule paresseusement dans une publicité pour L'Oréal - J'ai nommé la belle Jane Fonda, qui passe de la jeune ingénue sincère à la perverse manipulatrice (comme une prolepse de ce qui arriverait quelque cinquante ans plus tard, happening Me Too oblige). Et, pour accompagner nos deux chatons dans leur transfiguration, la voix du dieu du doublage Roger Carel dans le rôle de sa vocation première (serait-il lui aussi un félin ?), la séduisante Lola Allbright (Peter Gunn, Le Pirate) ou encore André Oumansky (Raphaël, Napoléon, Soleil trompeur).
À voir donc tant pour l'ambiance, le suspens que l'avènement des fauves intérieurs qui, au-delà des sexes, révèle l'humaine nature, nous détrompant par avance du théâtre idéologique de notre triste époque.