J'aime bien le travail de Noémie Merlant. Portrait de la jeune fille en feu m'a bouleversé, et je l'ai suivie de loin en loin depuis. Récemment, je l'ai beaucoup admirée dans L'innocent. Nous nous sommes même croisés dans le triste Relay de la très badante gare d'Épinal, après sa promo de Jumbo (pas encore vu) au Festival de Gérardmer. Depuis Les femmes au balcon, je l'aime encore un peu davantage.
C'est un film qui ne cesse de bifurquer, assume des changements de ton assez périlleux, et propose sans conteste quelque chose de surprenant.
⚠️Spoilers ahead⚠️
Commençons par nous coltiner le peu qui ne va pas : si j'aime le principe de la mort du voisin vécue différemment par les trois femmes (avec des idées spécifiques de mise en scène pour chacune), je reste très circonspect devant les scènes d'apparition des spectres (côté Nicole donc), qui posent des problèmes politiques et esthétiques. J'aimais bien l'idée d'apercevoir de nombreux fantômes au balcon d'en face, mais la scène ou Nicole se retrouve plus directement confrontée à eux - et leur donne une leçon de féminisme - me semble très très lourdement écrite. Elle vient expliciter par un propos théorique ce que l'on ressentait déjà des interactions entre les trois amies.
De même, après avoir fort bien illustré l'aspect structurel des violences masculines par les différents profils d'hommes mis en jeu, démontré leur caractère trouble (banale quotidienneté, par exemple à l'échelle d'un immeuble, ET terrible singularité), pourquoi finir sur cette lourde scène de repentir ou le spectre du voisin doit admettre le viol pour être libéré ? À la fin des fins, est-ce une reconnaissance individuelle des fautes que l'on attend ? Peut-être s'agissait il de dire que tout de même, subjectivement pour une femme donnée, cela n'est pas rien, que cela peut apporter un soulagement ? Reste une scène bizarrement didactique, au regard de ce que le métrage ose par ailleurs.
Tout se passe comme si Sciamma et Merlant n'avaient pas tout à fait confiance dans les effets de leur film. Or, des effets, Les femmes au balcon en produit. Le film est tantôt très drôle (les scènes de découpe du corps notamment), tantôt rugueux voire violent (le viol conjugal particulièrement), tantôt fort émouvant (la séquence finale).
Si le film produit bien un geste féministe, ce n'est pas je crois dans le discours explicite qu'il développe, mais bien par les effets de sororité qu'il donne à voir/ressentir. C'est affaire de corps, de ce qui passe entre les corps, bien davantage qu'affaire de discours. Par une très opportune torsion de la structure (allongement de certaines scènes qui ne font en rien progresser l'intrigue, ellipses, dérèglement des sens) et de la représentation des corps (très présents, souvent nus, pétant et baisant et pleurant et riant), Noémie Merlant nous offre d'autres façons de jouir - jamais au détriment mais bien plutôt avec les trois actrices/amies.
Un film imparfait, hilare et foutraque, qui laisse augurer de très bonnes choses pour la suite de la trajectoire de Noémie Merlant.