Le film date de 1948. Le Japon vivait un après-guerre difficile, très chaotique, ce que le film retranscrit. L’action est située à Tokyo, ville montrée lors d’un lent panoramique pendant le générique du début, mouvement de caméra ponctué par quelques mesures de la symphonie n°5 de Beethoven. L’influence européenne est rapidement confirmée par une ambiance rappelant énormément le néo-réalisme italien (1948 est l’année de sortie du Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica). Le premier plan montre un panneau indiquant « La police arrêtera les femmes qui se promèneront tard. »
Fusako (Kinuyo Tanaka) vit avec son enfant et travaille comme secrétaire. Elle est devenue la maîtresse de son patron par résignation. Le hasard lui fait retrouver sa sœur Natsuko (Sanae Takasugi) rapatriée de Mandchourie qui travaille comme danseuse.
Fusako apprend la mort de son mari. Puis elle perd son enfant. Ecrasée par le malheur, elle fuit. Le manque de ressources la mène dans les griffes d’une bande de femmes qui vont lui faire comprendre qu’elle n’a pas d’autre choix pour survivre que de se prostituer.
Finalement, Natsuko échoue au même endroit que Fusako. Et, comble de malheur, Fusako réalise que sa sœur est enceinte de son ancien patron.
La noirceur de ce film étonne. Le chaos de l’après-guerre est palpable. Malheureusement le chaos se sent également dans la construction du film. On a du mal à réaliser qui héberge Fusako au début. Pourquoi quitte-t-elle son patron alors que c’est le seul qui pouvait lui assurer une certaine protection ? La perte de son enfant ? Tout cela pour tomber dans l’enfer de la prostitution où elle finit par devenir aussi violente que les autres. Peut-on vraiment croire à cette fin où elle décide de fuir cet enfer pour protéger une autre femme, après un nouveau déchainement de violence auquel elle a participé ? Mizoguchi conclut son film en montrant un vitrail représentant la vierge avec l’enfant Jésus, comme si en fuyant ainsi, Fusako pouvait espérer tout recommencer et se refaire une virginité.
Le film est court (1h13) et l’édition DVD utilise une pellicule rayée (enfin, c’est toujours mieux que rien). Surtout, le spectateur est souvent perdu avec des péripéties qui obligent trop souvent à se demander comment chaque personnage se situe exactement par rapport aux autres, à tenter de deviner les motivations et raisons profondes des actes montrés. Des incertitudes probablement liées au film lui-même, car le résumé présenté sur la jaquette ne correspond exactement ni à celui établi par Jean Tulard dans Le guide des films (note remarquable de ** accompagnée d’un texte suffisamment explicite) ni à ce que j’ai vu. Peut-être est-il préférable de profiter au préalable du supplément présent sur le DVD : un texte instructif (5 minutes) de **Jean Douchet lu par Emilie Leconte.
Le film manque donc de la lisibilité que j’attendais d’un tel drame et d’un réalisateur d’envergure comme Mizoguchi. L’humanisme du cinéaste ne perce que dans la fin qu’il a voulue. Il montre que l’incroyable violence que les femmes s’infligent entre elles est la conséquence de celle exercée par les hommes vis-à-vis d’elles.