L'année dernière, à l'occasion des Oscars, j'avais découvert les quatre versions de Une étoile est née (A Star Is Born) dont la dernière paradait fièrement dans les nominations. J'en avais fait une quadruple critique que vous pouvez retrouver ici (spoil : je n'ai aimé que les deux premières). Cette année, j'ai réitéré l'expérience avec Little Women mais je ne m'attarderai que sur la dernière version.
Pour présenter le contexte tout de même, Les Quatre Filles du Docteur March (Little Women) est un classique et un énorme succès de la littérature américaine, écrit par Louisa May Alcott en 1868. Et je serais bien incapable de vous en dire plus.
La première version (sonorisée) au cinéma est celle de 1933 par George Cukor avec Katharine Hepburn (peu crédible en adolescente), sympathique mais peu passionnante et bien vieillotte. La seconde version de 1949 par Melvyn LeRoy avec une excellente June Allyson dans le rôle de la principale fille March ou encore Elizabeth Taylor et Janet Leigh en jouant deux autres est une copie plus marquante du film de Cukor (lui qui cinq ans plus tard fera une copie plus flamboyante du A Star Is Born original). Enfin, il faudra attendre 1994 pour qu'une certaine Gillian Armstrong ne dirige Winona Ryder, Claire Danes, Trini Alvarado et une toute jeune Kirsten Dunst trop choupi dans le rôle des sœurs March (avec également Christian Bale, Susan Sarandon et Gabriel Byrne pour compléter le casting). J'ai aussi apprécié cette version qui est sans doute la moins datée et la plus facilement appréciable mais j'ai parfois ressenti trop de mièvrerie et quelques scènes sonnent trop fausses à mon goût.
Bref. Little Women a la réputation d'être une œuvre pour adolescentes. Aux premiers abords, oui. Mais les différentes versions (et sûrement le roman aussi) ont réussi à ne pas se vautrer dans l'eau-de-rose et a tiré d'une histoire pas bien originale, des personnages forts aux relations complexes. C'était un moule parfait pour une actrice-réalisatrice-scénariste-féministe provenant du mouvement indépendant "mumblecore" telle que Greta Gerwig, qui après s'être fait les dents sur Lady Bird, pouvait s'attaquer à un projet plus ambitieux.
L'HOMMAGE
On sent un véritable amour pour l'oeuvre de la part de la réalisatrice qui a sans doute lu le roman et vu les films lorsqu'elle était plus jeune comme des milliers d'américaines avant et après elle. Il y a des scènes (la bataille dans la neige, la danse farfelue de Jo et Laurie, la chute dans la glace, les cheveux coupés...) qui revenaient quasiment à l'identique dans chacune des versions et qu'elle ne s'est pas privée de reproduire à son tour. Saoirse Ronan, qui jouait la fameuse "Lady Bird" dans son précédent film, incarne ici son ancêtre, une Jo March plus féministe que jamais dans laquelle on retrouve encore une fois toute la personnalité de la réalisatrice et qui lui sert de porte-parole. Mais Jo est également une auteure vouée au succès qui devra vendre son manuscrit (Little Women) aux éditeurs tout en étant une femme et se battre pour garder le contrôle sur les suites. Facile de voir dans ses scènes, un hommage direct à Louisa May Alcott.
LA MODERNISATION
Là où les précédents films étaient très linéaires, donnant un côté vieux feuilleton et créant quelques longueurs, Greta Gerwig a préféré poser le destin de chaque sœur dès le départ (se disant probablement que toute façon, tout le monde connaît déjà l'histoire) et de raconter comment elles en sont arrivées là avec une série de flashbacks, chacun habilement placé au bon moment pour montrer une évolution de personnage. Cette non-linéarité et ses soubresauts entre passé et présent crée un nouveau rythme bienvenu par rapport aux précédents films. Ce n'est donc clairement pas l'adaptation de trop mais bien une modernisation utile de l'oeuvre.
LA TOUCHE GERWIG
Là où les précédents films étaient très plan-plan en termes de mise-en-scène, Gerwig soigne ses plans et s'amuse avec différents artifices de réalisation qu'on jugera pertinents ou non mais qui flattent la rétine et donnera aussi une touche résolument plus moderne à l'oeuvre. La touche Greta Gerwig se ressent principalement dans l'humour du film, car ça reste, malgré certains dramas, une comédie. Et le film est drôle, sans doute même plus que Lady Bird. Si ce-dernier ne vous avait pas convaincu, je vous invite à aller voir ses films en tant qu'actrice comme Frances Ha, Mistress America ou Damsels in Distress pour davantage comprendre la patte Gerwig. En plus de la guerre et de la bourgeoisie, le film brasse une grande quantité de thèmes qui lui sont chers, de la famille au féminisme, en passant par l'écriture et le passage à l'âge adulte.
LE CASTING
Les sœurs sont jouées cette fois par Saoirse Ronan donc, Emma Watson (la belle est finalement assez vieille pour jouer une mère... oui le temps passe), Florence Pugh et la moins connue Eliza Scanlen, les quatre se montrent très convaincantes. On retrouve également Laura Dern, Meryl Streep, Bob Odenkirk, Chris Cooper, Louis Garrel (tous très bons) et un point noir, si vous me connaissez, vous savez de qui je parle... J'ai personnellement eu une fois de plus un gros coup de cœur pour Florence Pugh qui ne cesse de m'impressionner depuis Lady Macbeth.
Bref 2. C'est un film tout à fait charmant, très plaisant, divertissant et intelligent, pas dénoué de défauts mais qui sait se montrer accrocheur, drôle, touchant et plus malin que ne pourrait le laisser penser le synopsis. Les actrices sont absolument formidables et Greta Gerwig parvient à toucher le juste milieu entre hommage et réinvention avec des consonances très actuelles et des touches très personnelles. J'en demandais pas plus.