Film sur la campagne d’Italie, des déserts d’Afrique jusqu’aux contreforts de Monte Cassino, Les Forçats de la gloire est raconté du point de vue d’un reporter de guerre Ernie Pyle. Ce dernier ayant réellement existé, le film peut donc être classé dans la catégorie du biopic, même si l’emphase du récit est mise sur la compagnie d’infanterie qu’il suit tout du long.
L’œuvre de William Wellman, sortie un an après les événements (1945), constitue en soi un témoignage historique, sur les faits eux-mêmes mais surtout sur les conditions de vie des G.I. durant cette phase éprouvante de la Seconde Guerre mondiale, souvent reléguée au second plan par le débarquement de Normandie et la campagne de France.
Loin des clichés héroïques et mythifiés sur la guerre moderne (l’apanage de l’Air Force, comme aiment à le répéter les protagonistes), la compagnie C suivie par Pyle est montrée sous l’angle de la normalité, comme une micro-société où tous les liens de sociabilité ordinaires seraient reproduits. Mais la mort n’est jamais loin de tout cela : le mariage improvisé dans une église où quelques heures plus tôt de violents affrontements ont eu lieu est interrompu par des bombardements aériens ; aux repas au coin du feu succèdent inlassablement, impitoyablement, les patrouilles dévoreuses d’hommes, dans l’obscurité de la nuit et de la boue. La boue, élément constitutif de tout conflit hivernal, trône ici en pièce maîtresse d’une attente insensée qui semble n’en plus finir. Le réalisme de l’épuisement passe aussi par les visages noircis et obscurcis par la barbe, effets accentués par l’usage maîtrisé des gros plans.
Le ton du film, sans jamais être absolument noir ou dramatique, flirte bien souvent avec la propagande, comme pour rappeler que le récit est celui d’un journaliste dont le but est d’abord de redonner confiance aux lecteurs de la métropole, de convaincre sur le bien-fondé des opérations militaires américaines en Italie. Sur le terrain, le moral est pourtant au plus bas : on répète chez les soldats que la guerre a tout interrompu dans le cours normal de la vie humaine ; un état antérieur ne pouvant être recouvré que par l’annihilation totale de l’ennemi, figure fantomatique et invisible tout du long (on ne voit que deux soldats allemands de tout le film). Car la guerre est avant tout affaire d’attente et de patience, de morts soudaines et inexpliquées (que Wellman fait souvent survenir hors-champ).
Les prestations de Robert Mitchum en capitaine bienveillant mais solitaire, et de Burgess Meredith en reporter plein de bonhommie, finissent de faire des Forçats de la gloire un bon film de guerre. Manquant peut-être de ce « quelque-chose » qui aurait pu en faire une œuvre profondément marquante, Wellman prend plutôt le parti de rester fidèle tout du long au récit de Pyle, et à son anti-dramatisation. Un choix tout à fait respectable et intéressant.