Grandement déçu par « Dheepan », je n'en étais pas moins excité à l'idée de voir Jacques Audiard s'attaquer au western, genre devenu rare où je l'imaginais prompte à de belles choses. Cela n'a pas manqué, le réalisateur retrouvant l'intensité, la force de ses plus grandes réussites. Maîtrise formelle indéniable, contexte historique séduisant, volonté de renouer avec les grands classiques du genre tout en traçant constamment sa propre voie... Le spectacle est régulièrement étonnant, que ce soit dans le parcours de ces deux héros pour le moins atypiques ou un discours longtemps difficile à cerner, ne masquant nullement la violence des deux frères (surtout un) tout en les rendant complexes, presque attachants, en tout cas très intéressants, à l'image de cette relation qui les unit constamment dans l'adversité.
C'est un rythme, relativement lent mais jamais ennuyeux (du moins me concernant), souvent imprévisible, sachant constamment évoluer vers des situations séduisantes, parfois touchantes
(l'émotion gagnant Eli à chaque fois qu'il tient son étole, le moment d' « intimité » qu'il partage avec une prostituée à qui il tente de faire jouer le rôle d'une autre...),
où presque chaque rôle est écrit et pensé avec soin, à l'image des excellents « premiers seconds rôles » incarnés par Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed, apportant un regard, un ton différent à une histoire aussi riche humainement que dans ce qu'elle raconte, à l'image d'un dénouement pour le moins inattendu, prenant avec beaucoup d'habileté
le contre-pied du règlement de comptes final inhérent au western, et finissant sur une note pacifique assez dans la logique du récit.
Après, on pourra toujours émettre une poignée de réserves
(franchement, engager un taulier comme Rutger Hauer pour lui faire faire à peine de la figuration, c'est étrange, non?),
mais à l'image d'un duo John C. Reilly - Joaquin Phoenix remarquable (le premier étant en grande partie à l'origine du projet), on ne peut que saluer cette incursion en langue anglaise par l'un de nos grands cinéastes contemporains, dévoilant au passage un pan méconnu de sa personnalité : en cela et pour toutes les raisons évoquées précédemment, « Les Frères Sisters » apparaît comme un incontournable de 2018. Belle réussite.