Voici Henry Serin. Bien habillé, il sait utiliser les mots à ses fins, il est représentant en parapluies. Sa femme le dédaigne, ses enfants se moquent de lui. Il trouve un certain réconfort dans l’Art, la peinture ou le dessin. Pour tromper son ennui (et sa femme) il s’autorise quelques incartades amoureuses. Un jour, il fait la rencontre d’Émile, peintre lui aussi, fort en gueule, mais à l’âme bien plus sale. Il vit avec Angela qu’il voit comme un jouet sexuel. Henry va partir avec Angela et s’établir à Pont-Aven, le village des peintres. Mais le beau représentant en parapluies va se retrouver seul, la belle histoire d’amour partie, et avec elle sa dignité.
Joel Seria fait partie de ces cinéastes dont l’œuvre s’inscrit dans les suites de Mai 1968. Dans son premier film, Mais ne nous délivrez pas du mal, il s’attaquait à la religion catholique. Dans Charlie et ses deux nénettes, il s'intéressait à l'amour libre. Dans son troisième, et le plus connu, Les galettes de Pont-Aven, la chair est très présente. Henry a d’ailleurs un très prononcé fétichisme pour le derrière féminin. Ce goût de la peau et de ses promesses est source de plaisirs et de libération entre deux êtres qui se sont trouvés. Mais elle peut être malsaine comme entre Émile et Angela.
Cette liberté sexuelle est à double tranchant, comme l’est le parcours d’Henry. Il quitte sa famille et son métier pour aimer et perd malgré tout ce qui lui restait. La liberté de faire ses choix est risquée, quitter le confort bourgeois pour une vie de bohème n’est pas si merveilleux qu’annoncé. Vivre pour soi a son prix.
De Saumur à Pont-Aven, en passant par d’autres villes et villages, le film est aussi celui de son contexte géographique, de la Province de cette époque. Ce sont des lieux et des décors dans toute leur typicité, parfois des chambres d’habitants reprises telles quelles. C’est une Province qui s’ennuie, qui a besoin de ses vices mais aussi de son folklore, à l’image de cette prostituée en coiffe traditionnelle. Mais c’est aussi le cadre de liens et de relations, amicaux ou moqueurs, une sociabilisation à petite échelle où tout le monde se connaît.
C’est donc aussi tout un monde qui évolue autour de Jean-Pierre Marielle, la figure centrale, aussi bien à l’aise que pour charmer ou s’apitoyer, que pour jouir ou se désoler. Ce sont des acteurs qui sonnent juste, qui ont une présence qui reflètent leur rôle. Bernard Fresson est malsainement gênant dans son rôle d’Émile, André Ferréol révèle une frustration sexuelle qui n’attendait qu’Henry pour se révéler, Dolorès Mac Donough est une étrangère à l’aise dans sa nudité, Claude Piépu un représentant catholique enjoué mais tyrannisé par sa sœur et enfin Jeanne Goupil représente l’innocence, la troisième figure féminine à même de faire changer Henry. Des acteurs qui sont déjà ou allaient l’être des habitués des productions de Seria, qu’il utilise avec une certaine malice.
En usant d’une nudité parfois crue et de dialogues qui sont très imagés et font le bonheur d'Internet, le film de Joel Seria pourrait faire croire à une paillardise bien de chez nous. Mais il s’agit aussi d’un rapport au corps et d’un travail sur les mots qui servent à brouiller les frontières, pour mieux mettre dehors toute la noirceur du propos du film, faussement joyeux, faussement innocent. Les libertés apportées par les conséquences de Mai 68 ont aussi un prix.