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Écumant depuis de nombreuses années les festivals avec ses courts-métrages, le réalisateur Bertrand Mandico s’est très vite façonné une patte des plus particulières. En passant désormais au format long, Mandico nous offre avec Les Garçons Sauvages un hallucinant voyage au gré des genres.
Déjà à l’origine d’une flopée de courts-métrages, témoignant tous d’un sens prononcé pour l’esthétique et les corps, parmi lesquels on peut citer une biographie fantasmée du réalisateur polonais Walerian Borowczyk, Boro in the box, le cinéaste Bertrand Mandico débarque avec son premier long-métrage, Les Garçons Sauvages. Reprenant le titre d’un roman de l’écrivain beat William S. Burroughs à qui il emprunte aussi une fascination pour les corps des jeunes hommes, Mandico nous propulse plutôt dans une sorte de voyage initiatique lorgnant cette fois-ci du côté d’un autre William, William Golding, l’auteur du classique Sa Majesté des Mouches.
Les Garçons Sauvages sont au nombre de 5. Ils sont violents, bandent et torturent leur professeur de théâtre. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que Mandico nous témoigne une nouvelle fois son amour des fluides corporels qu’il trouve particulièrement cinégéniques. La bande semble soumise à des pulsions macabres et extrêmes qui se manifestent sous la forme d’un crâne serti de diamant répondant au doux nom de Trevor. Encore une fois, Mandico nous renvoie direct à l’œuvre de Golding avec cette fameuse tête de cochon exerçant son emprise sur le petit Simon. Ce pêché atroce contraint donc les jeunes garçons à un voyage en compagnie d’un Capitaine réputé pour faire des plus rebelles, de tendres agneaux dociles. S’engage alors un rude périple vers une île des plus mystérieuses.
Les Garçons Sauvages, comme tout ce qu’a pu créer jusqu’alors Bertrand Mandico, met en avant un sens de l’esthétique très prononcé. Un travail d’orfèvre qui s’observe à tous les niveaux pour donner vie à un objet hallucinatoire faisant appel aux sens. Son choix du noir et blanc rappelle certaines de ses inspirations et notamment le japonais Koji Wakamatsu, adepte d’un noir et blanc sublime qui venait à plusieurs reprises se faire transcender par une arrivée fracassante de la couleur. Ici, Mandico reprend ce schéma, et les couleurs saturées viennent prendre la place du noir et blanc lors de scènes décisives et importantes. Il faut dire que tout se mélange dans le film de Mandico, que cela soit dans la forme avec les couleurs ou les nombreuses surimpressions créant des plans d’une toute nouvelle ampleur (on pourrait citer le visage du Capitaine devenant une falaise), dans l’univers qu’il met en place avec cette végétation luxuriante d’où semblent émaner des attributs masculins avec des poils et cette sève à l’allure de sperme, ou dans les personnages au look androgyne, s’inscrivant à merveille dans cette démarche transgenre. Les propositions sont nombreuses et variées, offrant un imaginaire où Eros et Thanatos se télescopent dans des orgies aux plumes virevoltantes, des rencontres nocturnes cauchemardesques. En faisant preuve d’un expressionnisme épatant, Mandico, fervent admirateur de la pellicule convoque la puissance du cinéma depuis sa création pour donner lieu à une oeuvre hors du temps.
Si justement, Mandico arrive à si bien titiller les sens du spectateur, c’est également grâce à son travail monstrueux sur le sound design. À la manière du couple Cattet/Forzani, Mandico retravaille tout le son en studio, ce qui lui permet de perfectionner l’effet recherché à son apogée. Que cela soit le bruissement de cette dense végétation, le plaisir charnel, l’éjaculation des fluides, la mer vacillante, tout semble avoir une répercutions phénoménale. Il faut ajouter à cela la partition lancinante de Pierre Desprats dont la musique électronique éveille chez le spectateur une transe envoûtante. Ce déversement auditif enivrant renforce le côté organique et sensoriel du film. L’environnement entourant les Garçons Sauvages prend vie, et cette île n’en devient que plus fascinante alors que les jeunes éphèbes se nourrissent aux branches phalliques de sa végétation ou déversent leur plaisir dans des fougères voluptueuses.
La communion des sens, des désirs des garçons avec ce territoire paradisiaque enclenche une métamorphose. Bien plus qu’un film de genre, Les Garçons Sauvages est un film transgenre, et le tour de force de Mandico est de nous servir un casting de Garçons entièrement incarnés par des femmes. On y retrouve donc Vimala Pons, Mathilde Warnier ou encore Diane Rouxel. Complètement transformées, les actrices délaissent leurs attributs féminins pour une apparence des plus troublantes. On n’aura certainement jamais vu Vimala Pons se masturber de cette façon avant Mandico. Sous la croupe d’un imposant Sam Louwyck dont le proéminent sexe tatoué attire les convoitises et d’une Elina Löwensohn, muse du cinéaste plus mystique que jamais et gardienne d’un île laboratoire d’expériences, les instincts de violence de ces riches garnements s’évaporent grâce à une méthode encore plus efficace que celles utilisées sur les droogies de Orange Mécanique. Une transformation qui n’est pas sans rappeler celle de la puberté, où les hormones en ébullition prennent le dessus. Les Garçons Sauvages, c’est une approche unique du coming of age où la rage violente de l’adolescence finit par laisser place à une maturité délicate et sensuelle.
Véritable spectacle hallucinatoire cultivant une imagerie rarement vue dans le cinéma français, Mandico accouche avec son premier long-métrage d’un tour de force d’une dimension queer redoutable. Un film qui laissera forcément du monde sur le carreau, mais qui suinte d’un amour pour le médium cinématographique gigantesque. Cultivant ses nombreuses références avec parcimonie, Mandico crée un ovni dont l’énergie sexuelle émane à chaque plan. Non content de transformer son casting, Mandico est, avec d’autres cinéastes (parmi lesquels son compère Yann Gonzalez) en train de transformer le cinéma français en riche terrain d’expérimentation. Sale, poétique, déviant, érotique, organique, la métamorphose a bel et bien commencé.