Le cinéma soviétique des années 20, ce n'est pas que le montage roi, la célébration de la Révolution d'octobre ou du réalisme socialiste (comme on est tous heureux à travailler la terre dans les kolkhozes ou en usine). La preuve avec ce film de Protazonov qui adapte trois nouvelles de Tchekov ; l'occasion - quand même - de dépeindre la société russe pré-1917 et son système hiérarchique extrêmement inégalitaire et rigide. Il y a finalement un aspect politique à trouver dans Les Grades et les hommes.
Les parties 2 (La Mort d'un fonctionnaire) et 3 (le caméléon) démontrent à travers deux arguments drolatiques combien la peur des puissants fait agir les plus humbles de manière totalement grotesque. Dans la partie 2, un petit fonctionnaire n'en finit pas de s'excuser d'avoir éternuer par inadvertance sur le souvenir ; le pauvre homme va tomber dans une spirale obsessionnelle à base d'excuse et de rabaissement de soi. Dans la partie 2, un homme est mordu par un chien et en appelle à un policier pour aller punir le propriétaire de l'animal ; le policier changera maintes fois d'avis au fur et à mesure qu'il apprendra que le chien appartient à un homme du peuple (sévérité totale) ou au général (indulgence en mode carpette).
Mais c'est bien le premier segment (la croix de Ste Anne), le plus long, qui retiendra toute l'attention du cinéphile curieux : une histoire digne de Austen ou de Balzac avec une jeune femme pauvre acceptant de se marier avec un fonctionnaire de la petite bourgeoisie (déjà beaucoup plus aisé) pour sortir son père et ses deux petits frères de la misère. Et Protazonov de décrire la jeune femme totalement soumise à son mari, avare et brutal. Mais bientôt, les rapports de force vont s'inverser : invité au bal de son excellence, le fonctionnaire fruste va voir sa femme courtiser par les puissants ; son excellence, les hommes plus riches, les militaires les plus gradés, tous à tourner autour de la belle Anna (et son mari réduit à faire tapisserie). Et la violence feutrée de cette histoire, elle est bien là : dans ce mari qui serait près à prostituer sa femme pour obtenir la reconnaissance de son excellence (symbolisée par le croix de sainte-anne comme décoration). Tout le génie de Tchekov mis en valeur par ce film.