"Je me soumets à celui qui se soumet à toi. Je combats celui qui te combat. Jusqu'au jour dernier."
Auréolé du Prix Spécial du Jury au dernier Festival de Cannes, le nouveau film du réalisateur et scénariste (en exil) Mohammad Rasoulouf (Le Diable n'existe pas) s'avère être sans conteste l'un des temps forts de cette année cinéma 2024.
S'inspirant directement du décès en détention de Mahsa Amini (événement que le cinéaste intègre à sa narration), qui conduira à un soulèvement d'une partie de la population iranienne (en particulier des femmes, et ce sous l’appellation «Femme, Vie, Liberté»), soulèvement qui sera réprimé dans le sang par ses dirigeants, Rasoulof nous dresse le portrait d'une société en pleine ébullition, et ses conséquences sur une famille (presque) comme les autres, faisant peu à peu imploser le schéma familial traditionnel et les conventions qui vont avec.
Quelque part entre le drame et le thriller, le film vient interroger les convictions et les désaccords de chaque membre de cette famille, nous offrant notamment quelques joutes verbales marquantes entre le père, travaillant pour le camp des oppresseurs et ne voulant en aucun cas perdre sont travail ou finir en prison, et ses filles, persuadées qu'il se trouve du mauvais côté de l'Histoire ("Tu crois au système parce que tu en fais partie. Et tu veux le conserver coûte que coûte").
Et au milieu de ces 2 générations fracturées, la mère, sorte de voix du compromis, ne voulant surtout pas faire de vagues pour son mari, mais ne pouvant rester totalement insensible à ce qui est en train de se passer sous ses yeux.
Un geste, puis une divulgation vont alors tout changer pour la famille, faisant monter le film d'un cran en terme de tension.
Un point de non-retour qui va pousser chacun.e dans ses retranchements, entre psychose et détermination, et révéler qui elles/ils sont vraiment au fond d'elles/eux.
Tourné avec une certaine économie de décors (une grande partie du film se déroule dans l'appartement familial, ce qui est en fait d'autant plus un tour de force, vu tout ce que le film parvient à nous raconter en son sein), et traversé par des scènes oniriques fortes (la main d'une mère qui vient soigner un visage blessé vs. la main d'une femme qui vient nettoyer le visage de son mari) et d'autres plus tendues et presque étouffantes (la "séance chez le psy"), une œuvre dense et maîtrisée de bout-en-bout, dont on ne voit pas les 2h46 passer.
Intégrant à son film de véritables images des manifestations de 2022 (et la réponse violente exercée par les forces de l'ordre), Rasoulof rend la frontière entre fiction et réel encore plus flou et en renforce par la même occasion l'impact de son message, sans équivoque.
Réussi sur le fond (ce qui pouvait un peu manquer au récent «Tatami») comme sur la forme, un magnifique portrait de femmes et un cri au courage et à la résistance qui, s'il pourra en déconcerter certain.e.s dans sa finalité, fait totalement sens par rapport à l'aspect métaphorique que véhicule le film.
Un huis clos familial racontant tout un pays, et un régime oppressif à la justice expéditive qui, un jour on l'espère, finira par rompre sous le poids de son peuple, jusqu'à se retrouver enseveli et n'être plus qu'un vestige du passé.
Un film important à découvrir absolument. 8-8,5/10.