Les Graines du figuier sauvage est un hommage vibrant à une partie non négligeable de la population iranienne qui se révolte, avec un courage incroyable, contre une théocratie en putréfaction, n'hésitant pas à assurer sa minable survie en broyant impitoyablement les nombreuses voix à s'élever contre elle et qui ne veulent plus se taire.
Le film en lui-même est un acte de courage. Un acte de courage de la part de l'équipe technique, des actrices et des acteurs ainsi que d'un réalisateur, alors assigné à résidence (ce dernier connaissant que trop bien les méthodes des ayatollahs et de leurs sbires, dont l'héliportage en enfer ne viendra jamais trop tôt !), ayant pris des risques en tournant clandestinement l'ensemble. C'est aussi admirable par le fait que tous les participants y donnent le meilleur d'eux-mêmes. Sur les plans du rythme (malgré la longueur de deux heures et quarante-six minutes, l'atmosphère est à ce point intense que l'on ne voit pas le temps passer !), de la technique, de la distribution, de la consistance de personnages très attachants, c'est pleinement maîtrisé (et merci de mettre en avant que des personnages, ça mange aussi... c'est peut-être bête ce que j'écris, mais l'air de rien, les quelques scènes de repas ajoutent à l'authenticité !). En tant qu'objet cinématographique pur, l'œuvre se révèle aussi intéressante.
Mais, bon, il est impossible (quand bien même, je le voudrais et je ne le veux surtout pas !) de détacher ce long-métrage des cris "Femme, Vie, Liberté" tellement le cinéaste Mohammad Rasoulof souhaite qu'on les entende. Et les insertions d'images documentaires, insoutenables, de manifestations et de répressions sont bien là pour le rappeler. Ici, la réalité ne peut pas être détachée de la fiction.
Pour ce qui est de cette dernière, justement, on suit une famille composée d'un père, d'une épouse et de leurs deux filles. Le père est nommé juge, ce qui fait, alors que les tensions commencent à sérieusement éclater à l'extérieur, qu'il doit faire face à une possible menace pour son existence liée à sa profession, à devoir gérer une quantité effroyable de dossiers d'êtres à condamner expéditivement, tout en subissant le poids de la culpabilité. Les deux filles commencent à prendre fait et cause pour celles et ceux qui manifestent. La mère, quant à elle, est déchirée entre son conditionnement à être une épouse loyale, bien soumise au chef de famille, et son profond amour maternel...
Les parents ont la volonté d'éviter que la tempête en cours pénètre à l'intérieur de leur foyer (habile utilisation, au passage, des fenêtres, souvent fermées ou bouchées, plus synonymes d'emprisonnement que d'ouverture, devant laquelle il faut apparaître voilée !), notamment en cloitrant leurs enfants, tout en se forçant à régurgiter sans conviction les mensonges du régime. Pourtant, cette tempête va y pénétrer, d'abord par la télévision, par les réseaux sociaux et surtout, point de non-retour, par l'intermédiaire du visage d'une amie des jeunes filles, défigurée et éborgnée par la répression policière (donnant lieu à un long gros plan, aussi terrible que fascinant, synthétisant une jeunesse martyrisée !). Un incident va tout faire disjoncter, en plongeant, progressivement, le paternel dans la plus terrible des paranoïas à l'égard de ses proches, avec pour conséquence que la cellule familiale va devenir une reproduction, à son échelle, de la société iranienne. Si le tout comprend des échanges didactiques, il est néanmoins principalement ponctué d'une pléthore de symboles (y compris dans le titre même !) pour vigoureusement bien faire entrer le message.
Le dernier acte, prenant le ton d'un thriller, lors duquel le mythe du Minotaure et le Shining de Kubrick sont convoqués, ainsi que la toute fin, montrant un farouche signe de volonté et d'espoir, achèvent de bien l'asséner.
À travers le destin d'une famille nucléaire, Rasoulof parvient à exprimer puissamment et efficacement la tragédie, le chaos, l'état d'esprit et, malgré tout, la foi en l'avenir de tout un pays.