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C’est en prison, en Iran, que le récit des Graines du figuier sauvage a trouvé son origine. Arrêté pour la troisième fois à l’été 2022 (il est depuis en exil), un peu avant la mort de Mahsa Amini, Mohammad Rasoulof a suivi, derrière les barreaux, le mouvement "Femme, vie, liberté" ainsi que sa répression meurtrière par des mollahs impitoyables. Un membre du personnel de la prison l’aurait pris à part pour lui avouer qu’il voulait se pendre devant l’entrée de la prison parce qu’il souffrait d’un intense remords face aux arrestations, aux tortures et aux exécutions en chaîne, et ne pouvait se libérer de la haine qu’il éprouvait pour son travail.

Est-ce cet homme qui a inspiré Iman, l’enquêteur et juge fraîchement nommé du film qui, dépassé par les événements de révolte d’un peuple en colère et l’inhumanité d’un système répressif dont il est un rouage, doit faire face à la fronde de ses deux filles et ne sait plus comment gérer sa situation et professionnelle, et personnelle ? Mais qu’on ne s’y trompe pas : Iman n’est pas le vrai héros des Graines du figuier sauvage (titre qu’on dirait piqué à Nuri Bilge Ceylan). Ce sont ses filles, Rezvan et Sana. Et c’est sa femme, Najmeh. Dans un inéluctable dérèglement domestique (les deux premières heures du film se déroulent presque exclusivement dans l’appartement familial, à Téhéran), Rasoulof observe patiemment le dedans (l’appartement familial donc) contaminé par le dehors.

Ce dehors, c’est ces vidéos, terribles, publiées sur les réseaux sociaux dans le monde entier (et regardées en boucle par Rezvan et Sana) qui ont permises de montrer l’étendue et la cruauté des représailles du régime théocratique iranien pendant des mois et des mois. Ou comment l’insurrection des rues, comment ces blessés et ces morts, comment ces femmes qui dansent et brûlent leur voile au péril de leur vie, s’invitent dans le foyer (une amie de Rezvan, au visage mutilé par un tir de plombs, sera même soignée par Najmeh) jusqu’à l’implosion. Pendant deux heures, Rasoulof excelle à enregistrer la lente déréliction des convictions morales (et les prises de conscience qui vont avec) de chaque membre de la famille, et davantage quand l’arme de service d’Iman disparaît. Disparition qui va précipiter la famille dans une boucle de violence et de paranoïa (qui a volé l’arme ? Dans quelle intention ? Iman l’aurait-il égarée ?).

C’est à partir de là que s’enclenche la dernière partie du film que Rasoulof déplace alors hors de Téhéran. Dernière partie malheureusement trop longue, et surtout trop démonstrative, qui tranche avec la sécheresse narrative (voir par exemple la scène des interrogatoires, sobrement angoissante) des deux heures précédentes. Certes, Rasoulof opère un changement de genre plutôt surprenant (on passe de l’étude sociale et psychologique à une sorte de thriller schizo), mais il s’épuise à appuyer la métaphore entre la dissidence civile d’un peuple et celle de trois femmes face à un père devenu symbole, plus que mastoc, d’un patriarcat étatique prêt à tout. Qui ordonne, qui emprisonne, qui condamne. Et jusqu’à cette dernière image, allégorie assez grossière d’un régime défait, qui vient clore un film frontalement politique, nécessaire comme on dit, fait dans l’illégalité et sous les menaces, portant avec lui les voix et les cris de femmes et d’hommes qui luttent pour leur liberté, mais qui s’abîme, à la fin, de trop de volonté significative.


Pour aller plus loin, on pourra regarder les documentaires Nous, femmes iraniennes de Sabina Fedeli et Anna Migotto, Femme, vie, liberté - Une révolution iranienne de Mohamad Hosseini et Claire Billet, ou encore Nous, jeunesse(s) d’Iran de Solène Chalvon-Fioriti. Et suivre, deux ans après, le prolongement, l'héritage et les conséquences du mouvement "Femme, vie, liberté".


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
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le 16 sept. 2024

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