Mon expérience du cinéma iranien étant relativement limitée, je me contenterais en préambule de dire que ce film s'inscrit dans la suite logique d'autres métrages portant un discours critique à l'égard du régime, avec tout ce que cela comporte comme risques (j'ai lu à ce propos que le réalisateur avait fait de la prison).
Vous excuserez par ailleurs le côté légèrement décousu de cette critique, et probablement sa non exhaustivité, de nombreuses autres choses pouvant sûrement être dites sur ce film.
Au travers du mouvement Femme, Vie, Liberté (slogan politique utilisé dans le mouvement national kurde, puis repris dans l'ensemble de l'Iran au cours des manifestations de 2022 qui ont suivi la mort de Jina Mahsa Amini ; merci Wikipédia), le film narre le décalage entre un père de famille qui travaille pour le régime et tente de gravir les échelons, et ses filles qui prennent peu à peu cause pour le mouvement de contestation. La mère de famille se situant plus ou moins dans un entre-deux idéologique.
Commençons par un petit défaut du film, concernant le ton de certains dialogues. J'ai trouvé que les événements politiques, qui transparaissent au travers du regard de chacun des personnages, sont expliqués de manière un poil didactique. Ce qui le rend film politique certes, mais en léger décalage avec l'ambition de réalisme qui transparaît par ailleurs. Maigre défaut néanmoins, car si les personnages principaux représentent des archétypes de la société iranienne, le déchirement familial et intérieur (du père et de la mère surtout) sont bien montrés, et apportent une subtilité bienvenue au propos. Le rôle du père est particulièrement réussi sur ce sujet, c'est à mes yeux le personnage le mieux écrit.
Par ailleurs, le réalisateur prend le parti d'entrecouper son métrage de certaines vidéos amateurs montrant la répression policière des manifestants. J'ai un regard ambigu sur ce procédé. Car si je soutiens sans réserve le propos politique porté ici (le régime des mollahs étant totalement liberticide au sein de l'Iran, et porteur par ailleurs d'une très grande instabilité dans la région (mais ce second point est HS avec le propos du film)), je pense malgré tout que ce type de vidéos partiellement décontextualisées peut aussi faire office de propagande. C'est-à-dire que s'il me semble indéniable que le régime des mollahs est le seul en tort dans cette affaire, il peut aussi y avoir d'autres sujets politiques dans tel ou tel pays où le tort n'est pas forcément du côté du régime/de la police, et la raison du côté des manifestants. Or le film insiste un peu lourdement là-dessus, comme pour asséner une vérité. Disons qu'en dépit d'avoir raison sur le fond, la forme peut être critiquée.
Pour continuer sur quelques éléments plus "cinématographiques", on notera que le film est très long, et dispose d'un rythme plutôt lent, sans pour autant trop s'étirer. Les 2/3 du film ont une portée politique assez poussée, et le dernier tiers vire dans une logique plus action/thriller/drame familial. Dernière partie réussie à mon sens, même si on a le sentiment que le film s'éparpille légèrement (ce qui n'est pas un défaut en soi, je précise). Rapide détour également sur la mise en scène, classique mais très classieuse, disposant de plans assez esthétiques, auxquels s'ajoute une tonalité de couleurs limitée, renforçant l'aspect "morose" du film. La BO discrète mais réussie va aussi dans ce sens.
In fine, le film réussit son pari de parler du déchirement politique intérieur de l'Iran au travers du déchirement privé d'une famille, et même du déchirement intérieur de ses protagonistes. Sans tutoyer l'excellence (la faute à quelques facilités d'écriture et une subtilité certes présente mais pas tout le temps), c'est un film important. Mais peut-être que l'ensemble du cinéma iranien est aujourd'hui, par essence, important.