Depuis ses débuts, Nathan Nicholovitch met en avant le travail des comédiens dans l’élaboration de ses projets. Que cela soit en tant que cinéaste ou metteur en scène de théâtre, il utilise la réalité vécue des performeurs pour l’utiliser dans un matériel fictionnel d’où émane une sincérité. Il prolonge sa méthode dans son dernier long-métrage, Les graines que l’on sème, en étant accompagné par des lycéens en option cinéma, dont il laisse la parole être l’élément central. Par ce biais, il exprime un portrait d’une jeunesse oppressée par le système judiciaire et politique français synthétisé par son point de départ narratif : Chiara, personnage inventé pour le film, est une jeune lycéenne n’étant pas sortie vivante de sa garde à vue, après avoir participé à un tag anti-macron.
Débutant par un carton évocateur : « Ce film est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec la réalité est à imputer à cette dernière », il expose explicitement une frontière floue entre la réalité et la fiction. Opposant deux régimes d’images, celui très proche des visages et des expressions provenant du passé (les vidéos d’archives tournées par Chiara) et celui des plans plus fixes et lointains relatant le présent, abordant notamment le rapport qu’a la jeunesse aux informations. La sœur de Chiara étant un symbole de ce rapport et de cette passation du combat politique, dont les images et les sons (la messagerie téléphonique de Chiara) qu’elle revit, deviennent les traces d’un passé vivace dans son présent. La scène de la manifestation formant un lien entre la thématique du collectif et de l’intime, en concentrant dans les pleurs de la jeune fille l’aspect purement physique (les lacrymogènes) et l’aspect émotionnel (le souvenir de Chiara).
Le cinéaste brasse donc de nombreuses thématiques et sous-intrigues formant un résultat parfois marquant mais maladroit en raison de la complexité du projet et de sa courte durée. Le plan-séquence inaugural, mettant face à face un jeune lycéen et une psychologue au milieu d’une cantine vide, pose directement le cadre thématique et esthétique. Durant près de 8 minutes, la caméra se rapproche lentement vers le lycéen, passant d’un plan large à un plan rapproché de son visage. Le cadre se remplit d’une voix et d’une présence, manifeste esthétique de l’entreprise globale de l’œuvre : partant d’un espace quasi vide sur lequel pèse l’absence de Chiara, les émotions et les visages prennent ensuite le premier plan, exprimant les mots d’une jeunesse anxieuse. Son dispositif imposant la présence des personnages et de leurs discours par l’utilisation du temps au sein des plans permet aux acteurs de laisser leurs émotions s’exprimer. Par exemple, lors de l’enterrement de Chiara, nous passons de moments bouleversants de sincérité à des performances robotiques et amateur brisant l’empathie et enrayant la mécanique de l’œuvre.
Partant d’un (faux) événement tragique, le long-métrage veut ouvrir à de nombreuses réflexions qui semblent passionnantes sur papier mais bancal dans son rendu. Si la première partie du long-métrage paraît assez précise dans sa vision, la seconde se perd trop souvent dans de nombreuses digressions sur un temps aussi court (1h17 !). L’intimité que l’on pouvait percevoir au début laisse place à des moments oniriques et des sermons politiques forcés, révélant une structure trop réfléchie enlevant toute la puissance émotionnelle ‘’spontanée’’ du projet pour parfois tomber dans une forme de prétention artistique gratuite.
Pourtant le long-métrage regorge d’idées purement cinématographiques et il est difficile d’en renier ses qualités. La manière dont il accorde de la durée aux plans pour poser une distance en est une de ses plus belles qualités : les moments musicaux lors de l’enterrement permettant des légères respirations au sein de l’ambiance terne du projet ou lorsqu’il s’attarde sur les visages, explorant les émotions complexes du deuil en étant frontal dans son approche, provoquant des sentiments forts face aux images. Il fera donc réagir par les différentes interrogations qu’il soulève, parfois sans assez de recul mais avec le désir de proposer un objet cinématographique singulier.