Soyons francs, c'est l'un des rares films qui m'ait vraiment bouleversé, et non pas seulement à cause du sujet déjà douloureux en lui-même : la tristement célèbre Rafle du Vél d'Hiv et son navrant cortège de fourgons verts et blancs, de policiers et de miliciens... et pas un SS ni un seul membre de la Wehrmacht. Ceci dit, on les aperçoit à peine quelques secondes au compte-gouttes. Comme si le réalisateur (Michel Mitrani) voulait faire comprendre à tout prix à nous, générations futures, que l'Occupation ne se limita pas aux seules troupes allemandes investies en France. La France elle-même a une lourde part de responsabilité dans cet épisode sordide.

Et dans tout cela, un étudiant fraîchement arrivé de sa province bordelaise, confronté de plein fouet aux arrestations, fouilles, traques, pour tomber sur une jeune ouvrière juive qu'il va tenter à tout prix de sauver... deux êtres fragiles, en plein questionnement sur eux-mêmes et sur l'inclémence de leur prochain. Deux personnages interprétés par des comédiens manifestement formés au théâtre et à la scène : tout d'abord Christian Rist, formé notamment au TNP de Villeurbanne, qui joue formidablement sur les attitudes du visage, mais à la diction tantôt hésitante ou assurée, qui correspond à la démarche du personnage. Et puis il y a Christine Pascal, la regrettée comédienne formée quasiment au même endroit (au conservatoire de Lyon), qui nous livre une interprétation émouvante, aux phrases affirmatives énoncées parfois comme des questions, des questions sans nul doute adressées à nous, spectateurs. A vingt ans à peine (son partenaire n'est que d'un an son aîné), la ravissante comédienne au regard attendrissant et fragile, à l'énergie spontanée, nous conquiert immédiatement. C'est d'autant plus émouvant que cette actrice peu récompensée mit fin à ses jours après une carrière prometteuse, à l'âge de quarante-deux ans.

Le duo se complète si bien (l'étudiant républicain-anarchiste aux traits anguleux, l'ouvrière juive au visage d'une douceur infinie et la démarche encore un peu "enfantine" comme pour rester cloîtrée dans un monde "idéal") que je mets 10 tout de suite. Pas une effusion de sang, tout au plus des coups de poing, mais le film ne se positionne pas ainsi comme d'autres films abonnés à l'hémoglobine. Il se veut plus psychologique, plus contemplatif, davantage axé sur la réflexion. Un film doublé d'un documentaire-fiction, que je recommande à tous, surtout pour la qualité des acteurs, la plupart injustement méconnus du grand public.

A noter la brève intervention d'une des très rares "guest stars" du film, Alice Sapritch, ou encore Judith Magre, au regard si troublant qu'elle nous rappellerait celui de son aînée de trois ans, la regrettée Silvia Monfort...

KenUbukata
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le 21 juin 2016

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Ciné Vore

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