L'amour est physique. L'amour physique est brutal. Les Hauts de Hurlevent est un film animal. Des paysages plaqués de bleu, de vert, de rouge, des intérieurs sombres et or, Les Hauts de Hurlevent est un film pictural. Des voix étouffées, des portes qui grincent, le vent qui emporte, la pluie qui enveloppe, Les Hauts de Hurlevent est un film musical.


Le roman d'Emily Brontë est dense et complexe. Une longue scène d'introduction, puis un récit multiple, qui parle d'amour et de ressentiments, de haine, de vengeance, de chagrin, une histoire de chair et de sang, une histoire de fous, avec en son centre la passion d'Heathcliff pour Catherine et de Catherine pour Heathcliff. Andrea Arnold et sa scénariste, Olivia Hetreed, on isolé cette passion, l'ont étirée, essorée, pressée, pour en extraire la substantifique moelle, l'huile essentielle, le cœur.


Les Hauts de Hurlevent est un film abrupt et puissant, d'une beauté phénoménale. On y parle peu, avec un accent rude, on s'épie beaucoup, on se regarde, on se touche, on se repousse, on se frappe, on se sauve. Animal toujours, campé dans la lande anglaise, pieds dans la boue, nez au vent et à la pluie, évadé d'un tableau de Constable ou de Gainsborough, on agit sans réfléchir, on prend plus qu'on ne donne, l'amour est un voleur.


Les mots ne sauront jamais dire la beauté du film, l'intelligence de l'adaptation, la fulgurance des images et des sons. Plaçant son film au-delà du cinéma, dans un art total, aussi primaire que sophistiqué, le plus souvent brut mais aussi maniéré, dans une mise en scène époustouflante, tellement maîtrisée qu'elle semble spontanée, Andrea Arnold impose son regard avec une autorité indiscutable.


Shannon Beer et Solomon Glave sont Catherine et Heathcliff avec une générosité sans borne. Jeunes animaux doués d'amour que la vie va briser, lui venu de nulle part, choisi noir par Arnold pour le marginaliser davantage, refusant qu'on le touche, épieur et envieux mais pur, elle, sauvageonne pleine de fantaisie, généreuse, aimant son père puis Heathcliff sans limite, sont impressionnants de force et d'abandon. Kaya Scodelario et James Howson, reprenant les rôles au retour d'Heathcliff, elle, d'une profonde beauté, lui, devenu rude et revenu vengeur, elle joueuse et perdue, forment un duo romantique lié jusqu'à l'autodestruction.


On pourrait en dire encore, y revenir sans cesse, répéter que chaque plan vaut pour lui-même, que tous sont sublimes, que le cinéma d'Arnold surpasse tous les autres ou presque, qu'avec Les Hauts de Hurlevent elle fait ce que Gus Van Sant avait fait avec Paranoid Park, élever le cinéma au plus haut, créer une œuvre d'art, nous éblouir. En trois films magistraux, Andrea Arnold s'impose comme la (et donc le) meilleur(e) cinéaste de ces dix dernières années.

pierreAfeu
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top cinéma 2012, Top 10 années 10, Adaptation réussie, Les plus fortes tensions sexuelles dans les films et 10 cinéastes - 10 films

Créée

le 9 déc. 2012

Critique lue 1.5K fois

15 j'aime

24 commentaires

pierreAfeu

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

15
24

D'autres avis sur Les Hauts de Hurlevent

Les Hauts de Hurlevent
Rawi
8

Critique de Les Hauts de Hurlevent par Rawi

Pour cette énième adaptation du chef d'oeuvre d'Emily Brontë, Andrea Arnold fait le choix de s'éloigner du matériau d'origine et de fuir tout académisme. Bien lui en a pris car dans ce film sauvage,...

Par

le 24 avr. 2013

27 j'aime

2

Les Hauts de Hurlevent
Velvetman
8

Les Hauts du Hurlevent

Ce n’est pas la première fois que l'œuvre littéraire d'Emily Brontë se retrouve revisitée sur le grand écran. Cette fois ci, non sans audace, c’est donc au tour d’Andrea Arnold de tenter sa chance...

le 17 déc. 2014

23 j'aime

3

Les Hauts de Hurlevent
Moizi
9

Totalement inattendu

Des Hauts de Hurlevent je ne connaissais que l'adaptation pas dégueu de Rivette, je n'ai jamais lu le bouquin ou vu quoique ce soit d'autre sur cette histoire. J'avais donc juste une vague idée de...

le 1 juin 2024

17 j'aime

6

Du même critique

Nocturama
pierreAfeu
4

The bling ring

La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...

le 7 sept. 2016

51 j'aime

7

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

La Crème de la crème
pierreAfeu
1

La gerbe de la gerbe

Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...

le 14 avr. 2014

41 j'aime

21