Nuri Bilge Ceylan est un réalisateur et photographe turc, réputé pour ses longs-métrages contemplatifs et extrêmement étirés. Pendant souvent plus de 3 heures, le cinéaste filme des paysages immenses et désolés, afin de plonger le spectateur dans des récits très intimistes. Il avait notamment décroché la Palme d'Or à Cannes en 2014 pour Winter Sleep.


Comme attendu, le rythme du film est extrêmement lent. Il caractérise les personnages à travers de longues scènes du quotidien, s'accompagnant de nombreuses séquences de dialogues. La représentation de cette routine pendant presque 3h20 peut sembler interminable, mais elle est selon moi nécessaire.


Les personnages présentent effectivement des caractères particulièrement subtils. Le personnage principal par exemple, Samet, fait effectivement preuve d'une ambiguïté extrêmement perverse envers ses élèves féminines, sans que le mystère ne soit jamais réellement levé sur ses réelles intentions. De la même manière, la création du triangle amoureux fait émerger des caractères très complexes chez les différents personnages, allant de la simple jalousie à la lassitude de la vie voire l'abandon de l'espoir.


Ce procédé trouve d'après moi ses limites lors de certains dialogues, qui s'étirent beaucoup trop et qui n'apportent finalement que très peu à la densité des personnages. À vouloir brasser trop de thématiques, et sachant qu'il met déjà en parallèle deux gros fils conducteurs (le triangle amoureux et la plainte d'harcèlement sexuel), le film a tendance à bégayer et donc ennuyer, en particulier dans sa première moitié.


Le film parvient néanmoins à produire une sensation unique à certaines reprises, notamment dans sa deuxième moitié lors d'une séquence de repas en tête-à-tête absolument dingue. Pendant près de 30 minutes, Samet et Nuray mettent en contradiction leur vision de la vie, autour d'une ambiance mélangeant désir et tension.


On finit alors par être complètement hypnotisé par ces dialogues et ces décors, et le récit devient une réelle expérience sensorielle.


Car au-delà de la très bonne écriture de la plupart des dialogues, c'est le travail de Nuri Bilge Ceylan qui marque le plus. Le réalisateur filme les décors et les paysages de manière hallucinante, en plus d'une photo et un éclairage d'une beauté époustouflante. Chaque plan est brillamment composé, et les mouvements de caméra sont toujours signifiants et saisissants.


Le cinéaste se permet même dans la deuxième moitié du film de totalement briser le quatrième mur. Même s'il essaie de filmer des récits intimistes de manière très naturaliste, il est conscient que tout ceci n'est que du cinéma ; un assemblage de séquences parfaitement orchestrées et composées, alors qu'elles représentent des personnages froids et délusionnés.


Les Herbes Sèches n'est donc pas exempt de tout reproche, en particulier à cause d'un rythme qui s'étire trop sur certaines séquences, et des discours de fond qui peuvent paraître inaboutis voire vains. Le film reste néanmoins une énorme claque en termes de réalisation, jusqu'à atteindre un état de grâce hypnotisant sur certaines séquences.


À défaut d'avoir vu un film parfait, c'était l'occasion de découvrir l'un des meilleurs cinéastes en activité.

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le 6 août 2023

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