Si Nuri Bilge Ceylan choisit sa terre natale (l’Anatolie) comme décor de son film, ce n’est pas tant par patriotisme que pour servir la narration : en effet les paysages froids de ce pays où « il n’existe que deux saisons, l’été et l’hiver » constituent finalement l’essentiel de la trame narrative. Les personnages attendent : Samet (Deniz Celiloglu) attend d’etre muté dans un meilleur collège, à Istanbul où il fera moins froid et où « il est impossible de ne pas avoir une vie social ». Sevim (Ece Bagci), l’élève avec laquelle Samet entretien une relation ambigü attend non-seulement que Samet lui rendent sa lettre qu’on lui a prise — et par là assume de casser dans un sens ou dans l’autre l’ambiguïté qui les lie — mais attend aussi plus simplement la fin des cours, la fin de l’été, la fin de l’enfance qui l’enferme et qui peut-être, entrave sa relation amoureuse ? Quant à Nuray (Mere Dizdar) elle attend de pouvoir agir, de faire valoir ses idéaux politiques comme elle l’explique lors d’un dîner improvisé avec Samet, c’est-à-dire que sa jambe guérisse (ce qui n’arrivera pas étant amputée)… ainsi, Ceylan n’a pas besoin de faire évoluer les relations entre les personnages : il s’applique même à les laisser stagner, s’enliser et à contre-carrer tout ce qui semblerait une avancé, notamment dans la relation entre Samet et Nuray. C’est l’attente, le froid et la solitude qui font la trame narrative, les personnages la subissent davantage qu’ils ne la tissent.
Le film s’ouvre sur une succession de plans larges un peu longs, pourtant l’ennui pour nous spectateurs s’évanouit au fur-et-à-mesure qu’il pénètre les personnages eux-mêmes. Ainsi, si les trois heures annoncées peuvent paraitre massives et impressionner, elles sont allégées par l’accélération et la multiplication des dialogues — trouvant son climax lors de la scène du dîner : se révèle ici la subtilité de Ceylan qui au moment où il nous est tout à fait impossible de sortir film, en fait justement sortir son personnage principal Samet, au sens propre, qui en ouvrant une porte se balade soudain sur le plateau de tournage avant de ré-intégrer le film et de finir cette scène d’une rare intensité — trois heures qui si elles ne passent vite, passent bien et sont savoureuses à qui sait prendre son temps. A qui sait — comme nous y invite la scène finale et la morale joyeuse qui accompagne l’été s’installant — regarder, et saisir chacune des Herbes sèches (comme chacun des jours de l’hiver) que nous foulons de nos pas alourdis par la solitude.