Le court métrage Beautiful loser (2018) de Maxime Roy s’était fait remarquer en festivals. Révélant un casting sincère, il laissait tout de même sur sa faim. Aujourd’hui le réalisateur nous présente une version long métrage qu’il nomme Les héroïques, et il voit juste : l’histoire de ce Michel a enfin toute la place de se développer en héroïsme. Ce n’est finalement que justice de laisser l’espace suffisant à ce personnage si touchant.
Michel est un punk d’une cinquantaine d’années, qui a connu le meilleur et le pire de son époque. Il vit aujourd’hui, seul, comme il peut, au rythme de sa musique et des obligations de société. Il a un fils majeur, un bébé, une ex (mère du bébé), un père, une belle-mère, un cercle chrétien d’alcooliques, et surtout sa moto. Voilà l'entourage proche qui le définit. S'ajouterait à ça son mantra, affiché sur son casque (de moto) : « Ride hard die fast ». Est-ce si simple que ça de rider hard et de dier fast ? On lui répète à longueur de temps de grandir, et pourtant il porte sur lui toute une vie. Son visage a les traits de l’aigreur, de l’acide. Les héroïques est un film sur les corps. Les plans sont serrés et s’attardent sur les détails. La caméra voit ce que les personnages ne voient pas parce qu’ils ont détourné le regard, ils ont abandonné trop tôt. Du cru et de l’impropre on ne retient que la douceur.
Si Michel ne peut pas « grandir » c’est parce qu’il traîne le poids d’un père, joué par Richard Bohringer, d’une autre France, dur, viriliste. Son appartement, la musique qu’il écoute à la télévision et à la radio, tout place ce père dans son temps, dans ses blessures et ses regrets. C’est avec cette vieille France, cette nostalgie générationnelle, que Michel doit faire la paix s’il veut soutenir son paternel mourant. De l’autre côté, il doit entendre son fils, Léo, qui lui reproche une « virilité abusive », un manque de bon sens et d’intégration à la France nouvelle. Lui au milieu, est prit entre son instinct punk dissident, une créativité motivée, sa précarité, et le poids d’une autre époque, celle qui l’a élevé en autodestructeur. C’est sans doute parce qu’il n’a pas eu les codes d’une paternité saine, qu’il se cherche autant en tant que père. On est le père que l’on peut, et le fils que l’on peut aussi. Ce sera donc à Léo, par un rôle discret mais juste, de faire en sorte de ne pas perdre son père.
Michel est en survie. Il loge en sous-sol dans une cave qui prend l’eau, alors face à la bureaucratie, il a l’impatience du précaire. Mais avec sa famille, il devient tendre et passionné. Parfois il est trop tard pour la douceur, parfois la brèche est bien là. Il faut alors dépasser les non-dits familiaux et apprendre à pardonner, aimer, et tolérer. C’est un véritable parcours de la parentalité, que la musique de Pierre Rousseau accompagne avec légèreté. Ses thèmes s’immiscent dans l’intime et s’accordent aux doutes. Et quand ce ne sont pas les nappes éthérées du compositeur qui sonnent, c’est le punk rock qui se réveille. Le métrage s’ouvre sur les Wampas, la sonnerie de téléphone de Michel s’époumone sur Olivensteins : « Je suis fier de ne rien faire ! Fier de ne savoir rien faire ! ». Le film est finalement comme le punk-rock. Il est cru, enragé, mais a une énergie festive et joyeuse. Il se bat avec un cœur à cent à l’heure. Il ne se lamente pas sur la cruauté, mais trouve sa force, son combat. La musique est ainsi le vrai lien entre ces pères et ces fils, que ce soit du classique, du punk ou du rap. « Eddy Mitchell c’est du rock ? » s’étonne Léo ; peu importe, tant qu’on roule ensemble.
On sent toute l’empathie qu’ont le réalisateur et ses acteurs pour ces trois générations de masculin. Le combat est de ne pas se perdre. L’histoire est intime mais universelle, marque d’un film qui voit juste dans le sentiment humain, dans la proximité avec ses personnages.
Le cercle chrétien des alcooliques en sevrage, ne parle dans ses prières, que de deux mots : « courage » et « sagesse ». Les héroïques ne veulent pas être seuls. Ils cherchent à être fiers. Ils se sauvent entre eux, se récupèrent. Ils sont brusques mais se connaissent et se comprennent. Ils ont cela, les héroïques, la solidarité, le courage, et finalement la sagesse, qu’elle soit chrétienne ou populaire. Encore une fois, le combat est de ne pas se perdre.
Maxime Roy utilise l’humour et la tendresse comme arme pour un film qui évite les stéréotypes du film social français habituel - ne se limitant pas au constat misérabiliste du précaire-victime. Il pousse les acteurs loin dans l’émotion et la dureté lorsqu’ils en sont demandeurs, mais se maintient dans une économie d’effet dramatique, ce qui rend le récit agréable malgré une thématique difficile. Il fait un portrait honnête et puissant de François Créton, acteur qui se révèle dans sa langue, son corps, son ton. Il envoûte l’attention, en gardant une discrétion et une humilité de jeu qui fait du bien.
Les punks ne vieillissent pas mal, ils s’étoffent, se confrontent à leurs sensibilités. Ils sont les poètes désinvoltes de nos sociétés techniciennes. Les constants fêtards qui, moqués et méprisés, ne savent que trop bien se saboter. Là où les idiots leur souhaitent l'intégration assagie, les vieux punks se cherchent en héros. Et se trouvent en père. Michel, au milieu du marasme social du monde, est un écorché vif joyeux débordant d’humanité, qui se bat, pour ses enfants, mais surtout pour lui-même. C’est cela un héros.