L'entrée en matière du film est magistrale : un montage savant, esthétique, composé d'images d'archives au grain vieilli, mettant en évidence des manifestations politiques, des combats de rue, dans le Boston des années 1970, contexte socio-économique instable, favorable à la naissance de nombreuses engeances, le tout magnifiquement orchestré par l'introduction inoubliable de "Gimme Shelter" des Rolling Stones. Réalisation chiadée & musique rock, ...une recette subtile et difficile, donnant parfois cet ensemble délicieux, agrémenté ici d'une voix au timbre rauque, très assurée, reconnaissable entre milles, qui narre, entre autres, les « valeurs » fondamentales qui ont toujours été le terreau du crime organisé : « (…) il ne faut pas attendre des gens qu'il donnent, il faut prendre ». Cette voix, celle de Frank Costello (Jack Nicholson), parrain vieillissant de la mafia irlandaise de Boston, met en lumière les préceptes de mauvaise conduite d'un homme volontairement tapi dans l'ombre, qui avance pas à pas, en prenant le temps de fumer une cigarette, au rythme d'un travelling lent et virtuose qui impose d'emblée le sentiment clair et net d'assister à l'expression artistique et au regard d'un auteur au sommet de son art.
...Un Frank Costello qui au fil des ans a su gérer son entreprise d'une main de maître, au nez et à la barbe de la police d'état de Boston, qui n'a fait que se casser les dents sur l'oeuvre inaccessible et blindée d'un parrain fin et insolent. Comment le coffrer ? Opération d'infiltration de la police dans l'équipe de pieds nickelés de Costello, ...sauf que le papi arrogant a lui aussi une balance dans la police : un rat sans morale, être vénal sans foi ni loi, qu'il a débusqué dès son plus jeune âge pour l'élever en secret à tout rapporter.
Des deux côtés, des hommes infiltrés, qui font en sorte de mener à bien leurs missions, qui mentent pour se sauver, qui se traquent entre eux, et qui s'efforcent surtout de garder secrets leurs identités et leurs sombres desseins. Des personnages immoraux, aux existences douloureuses, étreignantes, faites de peur et d'angoisse, provoquant chez le spectateur une empathie qui tient en haleine.
Des personnages dépassés par leurs propres objectifs, leurs actes, leur arrivisme, et tous interprétés par des acteurs très impliqués, en phase avec leur sujet, donnant tous le meilleur d'eux-mêmes sans qu'aucun ne dépasse les autres, au point de hisser la distribution en une parfaite photo-finish : l'instantané d'acteurs qui ont eu le mérite de mettre leur jeu au niveau de la qualité d'un scénario faits de masques, de simulacres et de faux-semblants, pour être en adéquation parfaite avec l'ambition d'un réalisateur qui obtint pour ce film vendu à juste titre comme l'un de ses meilleurs, toutes les couronnes (oscars du meilleur réalisateur, du meilleur film), largement méritées.
C'est beau un chef-d'oeuvre.