The Innocents de Jack Clayton est un film majeur du cinéma d'horreur. L'histoire parait assez simple, une jeune institutrice prend sous sa garde deux jeunes enfants dans un manoir, alors que d'inquiétants secrets s'apprêtent à être révélés. Clayton use de ses talents de metteur en scène sur chaque plan, disposant d'un noir et blanc sublimissime.
Sobre lorsque la réalité envahit l'écran et dynamique quand le fantastique reprend de plus belle, la mise en scène de Clayton conjugue ainsi les moments très dramatiques et horrifiques. Il y a beaucoup de sous-entendus, ici proche de la suggestion tant les rapports entre les enfants sont évidemment très ambigus sur l'ensemble du film, comme pour la position de domination dans laquelle se retrouve, sans le vouloir, la jeune dame les accueillant à son tour.
The Innocents est d'autant plus magnifique lorsqu'il déploie son sujet principal, tragique de bout en bout : le récit d'une malédiction à laquelle ne peuvent réchapper les deux jeunes enfants, condamnés à ressentir ce que les adultes "monstrueux" ressentent à leur place. Ainsi, ils ne vivent que physiquement et non psychologiquement. Là réside la force globale d'un tel film, l'horreur est davantage psychologique que physique ou organique, mais pourtant, Jack Clayton n'oubliait pas les moments de "flippe" purement classiques du cinéma d'horreur, entre apparitions fantomatique, le vent et les coups frappant à nouveau contre la porte du manoir.
D'abord, l'horreur psychologique en enfermant le personnage dans le cadre, et par le choix de contre-plongées, champ contrechamp, l'illustration du rapport de domination entre la femme et les enfants. Puis l'horreur physique, par le travelling avant, zoom, autres effets de style laissant place à l'apparition des disparus, habitant chaque recoin de l'extérieur de la maison.
Il est également possible d'analyser The Innocents comme le récit de la maltraitance, puisqu'il est question d'un oncle qui ne soucie guère de son neveu et nièce, d'anciens gouvernants exerçant leur pouvoir de domination sur les enfants et exposant leur vie sexuelle sans contrainte devant eux. A la fois abandonnés par leur oncle, traumatisés par la perte de l'ancienne gouvernante qu'ils aimaient beaucoup, et subissant la violence d'un gouvernant incarnant le père qu'ils n'ont jamais eu, ces enfants n'ont pas de repère. Ils sont les Innocents dont on ne cesse de se moquer, de manipuler.
La relation qu'ils entretiendront avec la nouvelle gouvernante a tout de la répétition, le même schéma finit presque par se répéter. Alors que la jeune fille et le jeune homme commencent à nouer une relation saine, partageant des moments joviaux comme de partage, avec la jeune femme, celle-ci ne cessera de se détériorer sur le film sur son entièreté. Nécessairement parce qu'elle aime ces enfants, qu'elle ne veut que les protéger, mais engendrant sans le vouloir, une nouvelle violence psychologique à leur égard. Innocente donc, mais également responsable du "nouveau" mal occasionné à leur encontre.
Les seuls innocents resteront les enfants sur le long-métrage, les adultes commettant les erreurs (la domestique allant sans doute dénoncer la folie de la gouvernante dans le dernier tiers, la gouvernante attisant le trauma des enfants) et détruisant ce qui les entourent, à l'image de ce couple qui se détruira et qui détruira les autres, à savoir ici les enfants.
La plus grande question reste la suivante : et si, le plus grand persécuteur était l'Oncle ? "He's the Devil" dit la gouvernante, ne cessant de rappeler que l'oncle ne vient jamais au manoir, choisit de belles femmes pour s'occuper d'eux. Il semble nourrir le Pêché. Il est l'irresponsable, celui qui ne s'occupe pas des enfants, qui n'a aucune considération pour eux, comme l'énoncera le jeune garçon en pleurant dans son lit.
Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater la première scène où la jeune femme se présente à l'oncle comme le symbole de ce qu'aurait pu être la relation entre l'ancienne gouvernante avec le Valet. Difficile de lui résister, dira la jeune femme, il est très persuasif, et en même temps, il ne cessera de l'intimider.
La figure absente du père est vécue comme une souffrance pour le jeune enfant, et aurait pu être résolue si cet oncle avait été présent. Alors, lorsque le petit s'effondrera et s'épuisera physiquement de toutes ses forces, il aura exprimé toutes ses émotions sous silence, sa frayeur et partira en paix.
The Innocents ou la tragédie horrifique.