Si vous cherchez une alternative indispensable aux films d’horreurs privilégiant les jump-scare et le gore à une véritable tension, vous frappez à la bonne porte. « Les Innocents » de Jack Clayton fait partie de ces films à l’ambiance tellement aboutie qu’ils donnent des frissons rien qu’avec un grincement de porte… Tout en subtilité.
A partir d’un scénario des plus classique : une gouvernante se rend dans un vieux manoir de la campagne anglaise pour élever deux enfants dont l’oncle n’a pas le temps de s’occuper. Evidemment, les précédents éducateurs de Flora et Miles sont tous deux morts dans d’étranges circonstances… Si un pitch pareil est aujourd’hui un énorme poncif du cinéma d’horreur, c’était un peu moins le cas en 1961, et cela a au moins le mérite d’être efficace et d’installer une tension très rapidement. Mais si le film était aussi en avance sur son temps, c’est surtout pour l’atmosphère incroyable qu’il développe. Les décors terriblement anxiogènes d’un château à moitié abandonné tout d’abord, avec jardin jonché de statues dérangeantes, lac aux rides tourmentés, tours sombres et mystérieuses, couloirs dans la pénombre, grenier foisonnant de petits détails glauques et rideaux ondulants, le lieu de l’action est ahurissant de potentiel horrifique. Le travail sonore ensuite est exemplaire pour l’époque : si tous les bruitages et musiques stridentes manquent peut-être de subtilité, ils remplissent parfaitement leur objectif d’épouvante. Il y a enfin la virtuosité avec laquelle le réalisateur compose ses cadres, plaçant toujours un élément perturbant comme une épée de Damoclès en arrière-plan de l’action. Certains effets de lumières venant compléter un travail de réalisation quasi-parfait et admirable en tous points de vue.
Mais ce n’est pas seulement sur le plan technique que ce film sort du lot. Il y a aussi la manière dont il met en scène les deux enfants, absolument terrifiante et bâtissant toute l’ambiguïté du film. A aucun moment leur implication dans les phénomènes étranges n’est explicitée, tout en faisant d’eux le principal ressort horrifique du film. Entre envolées verbales ahurissantes (notamment lors d’une scène de récitation de poème à se damner) et une caméra se plaçant au plus près de leurs regards impénétrables, ces deux joyeux bambins sont parmi les plus terrifiants de l’histoire du cinéma. Ces deux personnages sont clairement les moteurs de l’esthétique fascinante du film, et de l’apothéose dans l’horreur qui ne peut pas laisser indifférente. La part psychologique du film est d’ailleurs encore plus profonde, car si elle laisse place à un certain intimisme dans ses cadrages, tout est dans l’implicite et laisse libre cours à plusieurs interprétations possibles.
Si « Les Innocents » va très loin dans l’horreur et ne nous épargne rien, il sonde l’âme humaine avec une justesse troublante. Sa place dans l’évolution des films d’horreurs est enfin toute privilégiée : de « Shining » à « La Malédiction », en passant par « Les Autres » qui lui rend un hommage explicite, on ne compte plus les films qu’il a influencés. Jusqu’au prochain film de Guillermo Del Toro « Crimson Peak » qui, au vu des bandes annonces, semble être dans la droite lignée du chef-d’œuvre de Jack Clayton.