Les Invisibles par Bettyneix
Rares sont les documentaires qui traitent de l'homosexualité comme le fait Les Invisibles. Les héros du nouveau film de Sébastien Lifschitz sont souvent octogénaires, parfois ruraux et leur combat remonte à une époque désormais révolue, celle de Mai 68, des grandes luttes pour l'avortement, la contraception. Alors que dans les années 60, l'homosexualité n'est tolérée que lorsque elle est tue, les protagonistes du film revendiquent une liberté à toute épreuve, à la fois urgente et indispensable. Le dénominateur commun qui relie ces différents personnages c'est justement cette quête de liberté, ce besoin d'affirmer sa différence au cœur d'un monde et d'une époque farouchement hétérosexuelle. La force du documentaire tient en partie à la qualité de ses intervenants, tour à tour piquants, touchants. Qu'ils soient en couple, célibataire, ils ont tous un rapport à la sexualité très libéré. On pense notamment au vieil éleveur de chèvre qui, au beau milieu de son champ, nous raconte ses multiples expériences amoureuses, témoignant d'une parole résolument débridée. Les personnages choisis par le réalisateur se positionnent tout de suite comme très différent des clichés homosexuels. Plusieurs d'entre eux habitent à la campagne, au cœur d'une ferme, bien loin du Marais. Sébastien Liefschitz adopte une démarche souvent négligée dans ce type de documentaire : interroger des gens ordinaires, inconnus, les « invisibles » en somme. Il parvient ainsi à ancrer son film dans un décor très réaliste. Les interviews se déroulent presque systématiquement dans l'appartement ou la maison de l'interrogé, au cœur d'une intimité très réelle.
Leur parole est le reflet d'une époque, d'une histoire française, de ses luttes. À travers leur histoire c'est aussi le tableau d'un pays, de sa population qui est dessiné. Sébastien Liefschtiz réalise un pari audacieux : esquisser à l'aide de sa caméra, l'histoire de la France à travers le récit de ses minorités. La parole des intervenants est judicieusement entrecoupée par certaines images d'archives, informations, publicités, qui contribuent à alimenter ce témoignage historique. Ces personnages sont dépositaires d'une mémoire commune.
Au fil du documentaire, celui-ci s'écarte peu à peu de son sujet initial, l'homosexualité, afin de traiter de sujets plus généraux. Réaliser un documentaire sur des personnages âgées c'est nécessairement parler de la vieillesse, du temps qui passe. Ici, les personnages sont tous habités par une frénésie, une fouge qui les pousse à embrasser la vie, à poser sur celle-ci un regard enthousiaste. Ce sont également des individus qui cohabitent avec la mort comme en témoigne l'un des interrogé, qui chez lui, nous montre les photos de ses anciens compagnons, tous décédés. Leur rapport au souvenir, au temps qui s'écoule est également omniprésent. Retournée là où elle habitait enfant avec son père, l'une des intervenante, évoque avec émotion le souvenir qui la rattache au lieu et franchit alors le pont qui la relie au passé, à cette petite gare de campagne qui n'existe plus guère que dans ses souvenirs. Le film interroge donc à de multiples reprises ce rapport au temps qui passe, allant même parfois jusqu'à insister un peu trop lourdement sur celui-ci en multipliant les plans en cinemascope sur la nature, métaphore de cette durée immatérielle.