C'est un pari que propose Sébastien Lifshitz. Celui de donner la parole à des hommes et des femmes inattendus.
Lorsque l'on lit le postulat de départ ("témoignages d'homosexuels nés durant l'entre deux guerres", c'est à dire des vieux qui nous racontent leur vie sexuelle, considérée à l'époque comme déviante, si l'on veut grossir le trait) on ne peut qu'être légèrement dérouté.
Et au visionnage c'est aussi ce sentiment qui prédomine.
Déroutés.
Lorsqu'un vieil agriculteur de 85 ans nous raconte, de sa voix perçante, et de son œil crevé, la fois où, à 14 ans, il a pour la première fois masturbé un paysan de 60 ans.
Déroutés.
Lorsqu'un homme nous explique la sensation qu'il ressent en caressant un pénis.
Mais vite, ce n'est qu'admiration et sympathie qui transcendent ce film.
Admiration pour ses hommes et ses femmes qui ont toujours prôné leur différences, qui se sont battus pour la faire accepter, n'ont jamais baissé les bras.
Mais surtout sympathie. Car ce que nous montre Sébastien Lifshitz, avec un talent de mise en scène qui dévoile une véritable volonté photographique, ce sont des tranches de vies.
Si on peut parfois regretter leur aspect un peu "Regardez, les homosexuels ont eux aussi une vie de couple et de famille normale !" et leur gratuité souvent inutile, on ne peut que chavirer face à une telle maîtrise des émotions, une telle délicatesse de mise en scène, une telle pudeur qui n'en est pourtant pas une.
Les Invisibles bouscule. Car il nous met en une situation délicate, certes, de celui qui doit écouter des souvenirs et propos intimes, souvent border-line. Mais jamais l'on est gêné tant le tout nous est donné avec un telle souplesse, une telle générosité, une absence totale de voyeurisme.
C'est peut être la la perversité du film ; ne jamais se dévoiler comme cri du cœur, ne jamais s'afficher comme film à message, se cachant derrière ses aspects touchants, la sympathie de ses protagonistes, pour mieux nous délivrer un message, à tendance politique.
Mais soit, que l'on me traite de mouton, qu'on m'accuse d'être tombé dans le panneau.
Car j'ai aimé partager deux heures avec ces gens-là.