Mon film est avant tout une histoire d'amour et de création,
les personnages m'intéressent davantage que l'exactitude historique



déclare le réalisateur, prévenant les reproches qu'il pressent, quant aux faits et aux dates que d'aucuns l'accuseraient de ne pas avoir respectés.


Alors oui, on est bien en 1682, et Louis XIV règne sur la France, mais exit le Roi Soleil: l'homme est sobre, discret, olympien, épris de nature, de beauté et de raffinement, exigeant, certes, au regard des fêtes somptueuses qu'il s'apprête à donner devant les souverains d'Europe, mais avec un naturel désarmant, exempt de toute ostentation.


Cette salle de bal en plein air, qui deviendra le mythique Bosquet des Rocailles, c'est à son maître-jardinier attitré, André Le Nôtre, qu'il va en confier la création, non pas à l'artiste vieillissant, que l'on connaît, mais à un homme dans la force de l'âge, posé et réfléchi, presque timide, qui observe en silence, passionné, voire recueilli, paysages, jardins et végétaux.


Il n'aime que la rigueur, la symétrie, et les jardins à la française, ELLE affectionne le désordre végétal, laissant la nature reprendre ses droits dans des jardins anglais, à l'image de ses mèches folles qu'elle ne cherche pas à discipliner.


Qui est-elle donc, cette femme aux formes généreuses, qui se hâte, plans en mains, conviée par Le Nôtre, pour lui présenter son projet ? Blonde, forte, regard direct sans la moindre ambiguïté, elle ose, dans ce milieu d'hommes, moqueurs et volontiers sarcastiques, se présenter : Sabine de Barra, roturière, paysagiste de son état.


Le maître scrute le visage de cette jeune femme simple et directe, intrigué par le chapeau outrageusement chargé qu'elle arbore, comme étonnée elle-même de son extravagance, tandis qu'elle lui remet ses dessins. La personnalité est indéniable, pense t-il, mais le projet trop foisonnant, trop fou, défie à ses yeux toutes les conventions et les critères esthétiques qu'il a toujours privilégiés.



Croyez-vous en l'ordre, Madame ?



l'interroge t-il, une question qui pour Sabine signe son échec.
Et les autres candidats de se gausser de la rencontre, qui n'aura duré que trois minutes.


Et pourtant, contre toute attente, cette "folie", cette liberté que sous-tend la passion d'une femme dont Le Nôtre a reconnu le talent et l'originalité, vont la désigner, elle, Sabine de Barra, pour créer cet Eden, ce Paradis sur terre, voulu par le roi.


Et entre ces deux êtres , au-delà de leurs conceptions initialement opposées, naissent peu à peu une confiance et une admiration mutuelles, tandis que l'on sent subrepticement les blessures de leurs vies respectives affleurer à la surface des choses.


Alan Rickman prend son temps pour installer ce passé, nous laissant deviner le drame d'une mère que sa passion créatrice, son esprit "bohème" avant l'heure, ont sauvée du naufrage, l'aidant à se reconstruire, à se forger cette carapace de femme forte qui la fait aller de l'avant et s'imposer dans un monde d'hommes, au centre des intrigues de la Cour et de la jalousie de Madame Le Nôtre, rompue, elle, aux mensonges et aux faux-semblants.


Kate Winslet incarne avec une grande justesse cet esprit libre qui laisse s'exprimer sa créativité, femme courageuse et engagée qui relève le défi avec passion, et que rien ni personne ne fera renoncer : ni les manoeuvres vengeresses d'une épouse jalouse, ni le chantier dévasté par l'inondation.


Se donnant corps et âme dans l'eau, la boue et le froid, elle brave tous les dangers, sa volonté tendue vers un seul but : Donner vie à ce rêve de grandeur, le sentir naître sous ses doigts, maître-d'oeuvre d'une création enfantée dans la douleur.
Mais c'est aussi cette même femme, qui muselle ses sentiments par pudeur, un trop-plein d'amour qui l'effraie, face à un homme qui la trouble et surtout la bouleverse, un être dans lequel elle a reconnu, en dépit de leurs différences, son alter ego.



Il ne s'agit pas seulement de la rencontre de deux grands esprits,
mais de celle de deux âmes qui tombent sous le charme l'une de
l'autre, et se stimulent sur le plan créatif.



Matthias Schoenaerts, devenu pour l'heure André Le Nôtre, s'est coulé dans le moule du "Sage" que l'impétuosité artistique de la jeune femme, son naturel et le côté authentique qu'il décèle en elle, ne peuvent laisser indifférent : deux êtres faits l'un pour l'autre, un sentiment qui s'exprime avec une infinie délicatesse, dans des scènes d'amour suggérées, empreintes d'une belle pudeur.


Un film qui vous transporte dans une autre époque, où le moindre détail témoigne d'une recherche esthétique qui ravit l'oeil, qu'il s'agisse des costumes, des châteaux, de la campagne anglaise et de ses délicieux jardins, (même si ce n'est pas Versailles), où l'on aime passer un peu de temps, à l'instar de ces personnages rêvés, pour se détendre, simplement, et se couper du brouhaha de ce monde.

Aurea
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Nature et Cinéma : une grande histoire d'amour, Être une femme libérée,c'est pas si facile... et Au cinéma en 2015

Créée

le 25 mai 2015

Critique lue 2.6K fois

100 j'aime

89 commentaires

Aurea

Écrit par

Critique lue 2.6K fois

100
89

D'autres avis sur Les Jardins du roi

Les Jardins du roi
Electron
3

Pour la grandeur de la France !

Nous sommes en 1682, Louis XIV est roi de France depuis près de 40 ans (1643). Nul ne le sait encore, mais son règne (le plus long des rois de France) est encore loin de s’achever, puisqu’il ne...

le 5 mai 2015

43 j'aime

18

Les Jardins du roi
AnneSchneider
7

Où l'on voit que le réel a des droits que la fiction n'a pas...

Une réalisation qui se heurte à l'écueil du réel : Sabine de Barra eût-elle existé, on eût su gré à l'acteur et réalisateur Alan Rickman d'arracher à l'oubli cette figure féminine de jardinière...

le 16 oct. 2016

11 j'aime

12

Les Jardins du roi
Gwen21
1

The navet from le jardin du roi

Non mais qu'est-ce que c'est que ça ? Comment un acteur comme Rickman, qui a eu le bonheur de jouer dans un film aussi esthétique que le "Raison et sentiments" de Ang Lee, peut réaliser une daube...

le 2 juin 2015

10 j'aime

Du même critique

Rashōmon
Aurea
8

Qu'est-ce que la vérité ?

L’Homme est incapable d’être honnête avec lui-même. Il est incapable de parler honnêtement de lui-même sans embellir le tableau." Vérité et réalité s'affrontent dans une oeuvre tout en clair...

le 30 oct. 2012

424 j'aime

145

Call Me by Your Name
Aurea
10

Parce que c'était lui...

Dans l'éclat de l'aurore lisse, De quels feux tu m'as enflammé, O mon printemps, mon bien-aimé, Avec mille et mille délices! Je sens affluer à mon cœur Cette sensation suprême de ton éternelle...

le 23 févr. 2018

371 j'aime

278

Virgin Suicides
Aurea
9

Le grand mal-être

J'avais beaucoup aimé Marie-Antoinette de Sofia Coppola, j'ai regardé sur Arte, Virgin Suicides, son premier film qui date de 1999, véritable réussite s'il en est. De superbes images pour illustrer...

le 30 sept. 2011

362 j'aime

114