Il y a de ces films que l’on peut voir et revoir et qui ne perdent rien de leur « saveur ». Des films qui telle une branche de romarin, gardent leur parfum et ne subissent pas l’injure du temps. Ils sont rarement le fruit du hasard. Derrière ces prouesses se cache souvent un réalisateur hors pair, un artisan qui a su sublimer son art, le réinventer, en repousser les limites pour en tirer une œuvre immortelle. Les lumières de la ville (City lights) fait partie de ces films. Et Charlie Chaplin est incontestablement l’un de ces artisans légendaires.
Comme bien souvent, tout part d’une histoire simple. Un vagabond, est pris d’amour pour une fleuriste des rues pauvre et aveugle. Sur un malentendu, elle le prend pour un homme fortuné et se met à l’imaginer sous les traits d’un prince charmant qui va la faire sortir de la misère. Conscient de ce quiproquo, Charlot s’évertue à prolonger le « rêve » de sa belle.
Tout d’abord avec l’aide d’un millionnaire alcoolique et suicidaire, qu’il sauve d’une noyade. Celui-ci lui est éternellement redevable et lui prête au besoin argent et voiture. Mais a la fâcheuse tendance à tout oublier, une fois à jeun, et à se débarrasser du pauvre charlot sans ménagement…. Puis, tantôt agent de nettoyage, tantôt boxeur, le bougre se démène pour trouver les fonds afin de subvenir aux besoins matériels de sa douce, et financer une opération qui lui permettrait de recouvrer la vue.
Après moult péripéties et bien que le destin les sépare, il finit par remplir sa mission. Et il nous offre en prime l’une des plus émouvantes scènes du cinéma lors des retrouvailles entre le vagabond, plus vagabond que jamais et la belle qui grâce à lui est sortie de la misère et a recouvré la vue !
Une histoire simple en apparence. Mais pour réaliser ce que représente « Les lumières de la ville » dans la filmographie de Chaplin, replongeons dans le contexte.
En 1927, les studios Warner sont au bord de la faillite. Ils décident de jouer leur dernier atout en sortant « Le chanteur de jazz », premier film muet comportant plusieurs séquences parlées et chantées. Jackpot ! Le succès du film sauve la compagnie et pose la première pierre d’une révolution qui va changer à jamais la face d’Hollywood. Nous entrons dans l’ère du parlant.
Quatre ans plus tard, les films muets ne font plus recette. Des stars d’un nouveau genre éclipsent celles d’hier. Chaplin court le risque de sombrer lui aussi dans l’oubli s’il ne prend pas le train en marche. Pourtant il refuse de céder à la panique.
Ses années d’expérience ont confirmé son indéniable savoir-faire dans l’art de toucher le public. Enfant du music-hall doté d’un sens inné de l’observation, il a fait du rire son cheval de bataille et de la pantomime son moyen d’expression de prédilection. Son goût immodéré du travail lui permet de façonner et perfectionner les gags qu’il imagine. Le personnage de Charlot est à la fois le symbole de sa réussite et le meilleur ambassadeur de son art. Lui donner la parole signerait son arrêt de mort artistique. Parallèlement, les oiseaux de mauvais augure lui prédisent une extinction prématurée s’il ne s’adapte pas à ce nouvel environnement.
Mais Chaplin n’en démord pas : le cinéma muet a encore son mot à dire !
En 1931, « les lumières de la ville » est le fruit de sa sereine résistance. Dès la scène inaugurale du film, il montre aux sceptiques que sa posture est un choix délibéré et non un aveu d’impuissance. Et durant les 80 minutes suivantes, il nous délivre une partition sans fausse note. Le succès étincelant du film met tout le monde d’accord : Chaplin est un géant parmi les grands.
C’est indéniable, en surfant sur la vague du parlant il aurait non seulement perdu son identité, mais également sa liberté artistique.
Passionné de son art, il a su mobiliser son amour du travail pour échapper au formatage et faire d’une histoire d’amour simple mais authentique une des plus belles expériences de cinéma. Expérience à plusieurs niveaux, car cette histoire reflète également le combat d’un homme de conviction qui a pris le parti de défendre ses idées pour survivre, au lieu de se dédire en begayant avec le reste de la meute. Et cerise sur le gâteau, elle rappelle à ceux qui veulent bien l’entendre que c’est souvent en silence que les vrais sentiments s’expriment le mieux.
katshu
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le 15 sept. 2012

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