Inutile de sortir les gants de satin : il est question des catins de satan. Loin d'utiliser cette description comme une manière assez claire de définir l'imaginaire ici exploré jetons cette phrase lapidaire au pieds de la Hammer. Les pires périodes de la compagnie tournent toujours autour de projets vendus sur un titre vide de sens à un public défini avec précision comme celui des exploitants de salles obscures. Le public ne rentre pas dans l'équation. Seriez-vous surpris d'apprendre après pareil préambule que sous le titre sulfureux The Brides of Dracula ne se cache en fin de compte ni le fameux empaleur Transylvain ni même ses épouses immortelles ? Si votre réponse à cette question rhétorique se trouve être dans la négative : bienvenue du côté cynique de l'équation. Vous avez vécu. On ne peut plus vous appâter avec un trailer coupé de manière rythmique afin de masquer la faiblesse structurelle d'un récit pourtant typique. Plantons le décor. Il était temps. Se méfiant du succès du pourtant excellent Horror of Dracula, sorti en 1958, Christopher Lee tente de prendre ses distances vis-à-vis du personnage l'ayant rendu célèbre. Il sait que si son nom ne devient pas plus grand que celui de cette série dont Hammer le menace il risque d'être le Comte le reste de sa vie. Cette sage décision tiendra huit ans. Déçu de l'insuccès de ses tentatives dans d'autres domaines le fameux Monsieur du cinéma anglais se sentira obligé de revenir en ses terres ancestrales le temps de quelques suites aux qualités diverses intronisées par Dracula : Prince of Darkness. Entre-temps... tombe ce film.
Temporairement renforcée par un contrat de distribution d'une robustesse rare – les studios anglais ne sont en règle générale pas distribués aux U.S.A. par Universal – Hammer Films espère pouvoir se passer d'un de ses talents majeurs le temps de capitaliser sur leurs succès passés. Après tout... leur formule à ses avantages. Décors modiques. Ambiance classique. Récits gothiques. Il est difficile de foirer la sempiternelle histoire d'un protagoniste dont le quotidien d'une autre époque verse d'un coup dans le monde du mythe. Suffit de respecter la structure en trois actes qui introduit votre héros, le met en danger, puis le voit triompher ou être vengé. Ce n'est pas exactement de l'astrophysique. Et pourtant The Brides of Dracula part dans une direction tellement caduque dès la vingtième minute que le récit est d'ores et déjà engagé sur des rails dont la destination incertaine ne peut être que celle de l'échec. Premier problème. Votre héroïne française bien que charmante ne parle pas anglais. Ce qui ne poserait aucune forme de problème dans une production qui sent bon le Pathé mais soulève des sourcils dans ce contexte-ci. Le fait qu'elle ne sache pas jouer n'aide pas l'affaire et cela même si de loin, en louchant, elle a un petit côté Brigitte Bardot. Le scénario exige d'ailleurs pour des raisons qui m'échappent qu'elle soit trop stupide pour comprendre ce qui se passe. Vous êtes cependant censé la suivre dans ses aventures lugubres. Quelle chance. Deuxième hoquet. Votre scénario devrait être terminé avant de lancer le tournage. S'il exige la présence de Dracula pour faire du Baron Meinster – ce qui est un brin trop proche de Baron Munster en ce qui me concerne – le dandy disciple du monstre aux dents longues... faudra convaincre votre star de venir toucher son cachet pour une journée de travail. Ce ne fut pas le cas. Troisième taquet. Si vous comptez remplacer le vampire le plus populaire de l'histoire du cinéma il faudra sortir mieux de vos soutes qu'un blondinet défraîchi enchaîné de manière improbable par sa mère octogénaire dans deux-tiers d'un décor médiéval en carton pâte. J'attends au moins une explication pour son vampirisme et limite une autre – elles ne peuvent pas être la même – pour son emprisonnement. C'est le minimum syndical. J'ai vérifié.
Les limites du récit sont visibles. Mais elles méritent d'être soulignées. Votre héroïne proprette en forme de simili-starlette tente de rejoindre un collège pour jeunes filles où elle compte leur apprendre le français malgré ses propres difficultés dans la langue de Shakespeare. Livrée à elle-même par son cocher en pleine campagne elle finit bien vite invitée par une vieille dame dont le château se trouve à proximité. Sur place, en moins de six heures, la demoiselle trouve le moyen de libérer le vampire du jour, tuer la mère par manque de précaution, et finir abandonnée au bord d'une route où elle sera retrouvée par Peter Cushing. Celui-ci, plein de tact, lui enjoint de lui apprendre son histoire puis de l'oublier à tout jamais. Une formule de politesse qui sera ici appliquée à la lettre et permet au scénario d'enquiller un sous-texte romantique entre la belle et la bête qui repose sur le fait qu'elle a volontairement oublié que celui-ci avait trucidé la mère qui l'avait eu à l'âge avancé de cinquante balais. Ne pensez pas que ce soit le type d'événement traumatisant qu'une femme ne peut oublier sous quel prétexte que ce soit. Au contraire : elle l'efface de sa mémoire du jour au lendemain. Faut bien qu'elle serve d'otage au Baron Meinster vers la fin du troisième acte tandis que Van Helsing s'efforce de sauver sa petite personne en plus de porter le film sur ses pauvres épaules. (J'ai d'ailleurs remarqué en subissant ce long-métrage que Cushing effectue un volume fascinant de ses propres cascades. Il était déjà vieux à l'époque et aurait vraiment mérité d'être mieux traité. C'était, à l'époque, la seule star du studio.)
Sans parler du vampire. Sorte de greaser blondinet la trentaine bien entamée, censé jouer un jeune homme sans-doute adolescent, dont le manque total de charisme est censé lui permettre d'osciller entre romantique et maléfique sans jamais sembler crédible dans l'un ou l'autre registre. Il finit – attention spoilers – tué par une ombre en forme de croix après avoir créé deux femmes vampires censées lui servir à approximer le titre d'un autre scénario vendu autrefois à la sauvette. Pas de chance, cependant, il n'était vraiment pas Dracula.