Après un premier film aussi abouti que La Balade Sauvage (tant sur le fond que sur la forme), difficile de faire mieux pour Terrence Malick. Et pourtant le réalisateur parvient à nous surprendre avec son second long-métrage Les Moissons du Ciel. Il reprend les éléments cinématographiques qui constituent sa marque de fabrique. À savoir, une voix-off omniprésente au point qu’elle occulte les dialogues, un lyrisme permanent qui transparaît dans chaque plan du réalisateur et la personnification de la nature, à un degré toujours plus poussé.


Le film fut un échec commercial à sa sortie. Son intrigue paresseuse et ses dialogues quasi-inexistants sont certainement la cause de son dédain par le public américain à l’heure où les Grease, Voyage au Bout de l’Enfer et autres Midnight Express connaissaient le succès.
Filmant ses acteurs comme des formes évanescentes, Malick privilégie l’aube et le crépuscule, ces heures perdues où l’âme humaine est au plus proche de ses passions. Cette obsession pour le non-conventionnel suscita des difficultés, et Richard Gere, mécontent du peu d’importance accordé à la psychologie de son personnage et à la quasi-absence dialogue failli quitter le tournage. Preuve que ce tournage fut particulièrement compliqué, Malick se mura dans un long silence qui dura plus de 20 ans jusqu’à la sortie de La Ligne Rouge (1998), un cas unique dans l’histoire du cinéma.


Tous ces obstacles rencontrés n’ont pas empêché le réalisateur américain de finir son film, qui n’a pas pris une ride (c’est assez rare pour le souligner). La photographie, et tout particulièrement le jeu de lumière, offre un lyrisme exquis de la part de Néstor Almendros qui sera récompensé par l’Oscar de la meilleure photographie (le seul que le film obtiendra). Ce chef opérateur a travaillé avec les plus grands cinéastes français, de François Truffaut à Éric Rohmer, en passant par Maurice Pialat, ça vous place un peu le personnage.


Privilégiant les plans d’ensemble, les scènes imaginées par Malick et Almendros expriment une violence, une forme d’affirmation que la nature est et restera indomptable, que sa majesté ne sera jamais remise en question par l’insignifiance de l’homme. Cet onirisme culmine dans la gigantesque scène finale de l’incendie. Plus qu’une vision apocalyptique aux images terrifiantes, c’est la renaissance d’une nature contrariée et bafouée par les agissements et les querelles humaines qui reprend possession de sa terre. De la même manière, la scène de l’invasion des criquets s’inscrit dans cet affrontement inconscient mais sans pitié entre l’homme et la terre.


Bien que contesté, Terrence Malick poursuit son travail de directeur d’acteurs. Après avoir révélé Sissy Spacek et Martin Sheen aux yeux du monde dans son premier film, il présente la jeune Brooke Adams, l’étoile montante Richard Gere et le prometteur Sam Shepard. La jeune Linda Maiz (15 ans) complète ce casting séduisant par sa présence discrète et son apparence innocente, en totale opposition avec sa franchise sans concessions en voix-off.


Le scénario est aussi plus élaboré, plus ancré dans une réalité tangible – au contraire des récents films de Malick qui évoluent presque tous dans une dimension plus métaphysique. Construit autour d’un trio amoureux somme toute fort classique, l’intrigue se suit facilement malgré les nombreuses coupures “contemplatives”.


Cependant Malick, fidèle à lui-même, ne pénètre pas dans l’intimité de ses créations. Il laisse ses personnages se fondre dans un environnement plus vaste au risque de les voir s’y dissoudre. Alors que dans La Balade Sauvage, la volonté farouche de liberté était exploitée avec sensibilité et s’intégrait avec justesse dans la narration, le trio amoureux finit ici par se perdre dans les limbes du Texas et de ses vastes prairies. Le dénouement aurait dû avoir une saveur tragique mais le manque d’empathie qu’on éprouve pour les personnages nous laisse de marbre.


D’une beauté indéniable, Les Moissons du Ciel manque de ce petit quelque chose en plus pour faire l’unanimité et s’élever au rang des réussites de Malick. Il n’en demeure pas moins un classique magnifique, à voir ou revoir !

Paul_Gaspar
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le 21 avr. 2021

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