Je n'aime pas beaucoup procéder de la sorte, mais pour tenter de tirer quelque chose de ce film qui soit correct, je me dois de le faire : comparer les deux premières œuvres de Malick, La ballade sauvage et Les Moissons du ciel. Les similarités sont de fait nombreuses : l'amour impossible, la quête existentielle, une photographie sublime, une musique des plus envoûtantes (Morricone, je t'aime). Malick se construit un style à lui tout seul : l'usage narratif de la voix off qui est la voix d'un des personnages principaux ; l'utilisation répétée de fondus au noir ou enchaînés ; la volonté sans faille de dépeindre la vie dans toute sa pureté et sa dureté. De la même manière que dans son premier film, le personnage principal va se retrouver dans une maison, étrangère en tout point (inconnue, hors de son milieu social) et découvrir alors la vie d'un autre à travers elle. La volonté de Malick est claire : il faut pouvoir dépeindre la quête existentielle des personnages, montrer cette recherche effrénée d'un but, d'un sens à la vie. Pourquoi Bill cherche-t-il à tout prix à travailler aussi durement ? Pour nourrir sa petite famille ; c'est son but, la signification de son existence. Alors quand un fermier débordant de dollars mais pas d'arrogance, fait du charme à sa dulcinée, la belle Abby, il la pousse à l'épouser, pensant alors accomplir définitivement ce pour quoi il vit. Seulement voilà, trouver le terme du sens de sa vie n'est pas une expérience facile, Bill se trouve alors perdu, éberlué et s'en va errer pour mieux revenir apporter malheur et désespoir, bien malgré lui, lui qui n'a toujours voulu que le bien de sa petite famille.
Bien plus qu'un excellent photographe, qu'un scénariste dépeignant les turpitudes des passions et l'irrationalité tortueuse de l'amour, Malick est un véritable naturaliste, attaché à montrer le réel. J'en veux pour preuve les deux scènes d'ouverture de ses deux premiers films : l'une montrant le ramassage des ordures, peignant les ramasseurs comme des Sisyphe traînant leur camion crasseux dans des ruelles interminables ; l'autre transcrivant la fureur effroyable des fonderies de métal, où tout déchire rétine et tympan. Ces scènes, bien que courtes, ne sont pas sans rappeler les descriptions de Zola dans la plupart de ses écrits. Et partant, les références sont multiples : Les raisins de la colère bien évidemment pour l'époque si particulière des Etats-Unis du début du XIX° siècle. La justesse de la photographie fait inévitablement penser à Kubrick auquel Malick n'a vraiment rien à envier. Le parallèle biblique est évident, mais je ne m'y attarderai pas, d'autres l'on fait sûrement mieux que je ne pourrais le faire.
Je m'aperçois en écrivant que je ne parviens pas à retranscrire le quart du tiers de la complexité de ce film. Je dirais juste pour finir que la notion de connaissance est essentielle et primordiale dans ce film : la raison pour laquelle Bill agit comme il le fait n'est pas pour nourrir sa famille, mais parce qu'il est profondément amoureux d'Abby, et quand il en prend conscience, c'est trop tard : elle en aime un autre. Tout simplement. Et cette simplicité des sentiments, devenue complexité des émotions, Malick parvient à la retranscrire de manière sidérante.