Le film à sketches a énormément été pratiqué dans le cadre de la comédie italienne des années 60-70 et "Les monstres" est peut-être le film le plus célèbre dans le genre.Ce format d'histoires courtes et percutantes se concluant par des chutes ironiques et surprenantes s'accordait il est vrai parfaitement à l'humour noir et mordant du cinéma transalpin de l'époque.Ce film présente cependant quelques faiblesses inhérentes à ce type d'oeuvres,à commencer par la qualité inégale des segments.Si certains sont fabuleusement drôles et méchants,d'autres sont moins convaincants,ce qui n'est guère étonnant sur un enchaînement de 19 sketches.C'est donc parfois sommaire,parfois daté et parfois prévisible,mais c'est compréhensible dans un contexte où on n'a pas vraiment le temps de développer situations et personnages.Dino Risi a réalisé tout le film et en a écrit certaines parties,une vraie dream team ayant scénarisé l'ensemble,ses coauteurs se nommant Age et Scarpelli,Elio Petri ou Ettore Scola,carrément!C'est produit par Mario Cecchi Gori pour la Titanus,grande firme italienne d'autrefois.Risi fait preuve de son sens habituel de la mise en scène et c'est un régal que de déguster ses profondeurs de champ,ses contre-plongées et ses plans magistralement cadrés.Il est secondé par des pointures comme l'opérateur Alfio Contini,dont le superbe noir et blanc net et contrasté est caractéristique du ciné rital vintage,le grand musicien Armando Trovajoli,dont les compositions empreintes d'ironie ambiancent efficacement le film sans pour autant forcer le trait,ou le monteur Maurizio Lucidi qui entamera deux ans plus tard une longue carrière de réalisateur qui se cantonnera à de la série B,notamment des westerns,des polars ou des comédies."Les monstres" est un catalogue pessimiste des bassesses de la nature humaine et brasse une flopée de comportements dictés par la malhonnêteté,la cupidité,l'hypocrisie,le mensonge,la trahison,la manipulation et la lâcheté.Un échantillonnage de personnages totalement immoraux défile devant la caméra mais,par la grâce d'un humour caustique bien dosé,personne n'est totalement antipathique.L'arrière-plan social n'est pas négligé même s'il reste secondaire et on dénonce allègrement la misère,les magouilles politico-affairistes,les errements de la justice,les bidonnages littéraires,la recherche effrénée du scoop journalistique,la lobotomisation par la télévision ou le foot,l'indifférence des nantis,les tracasseries policières,les arnaques à la pitié et bien sûr l'obsession sexuelle.Tous les segments sont interprétés par Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman qui,ensemble ou séparément,trouvent là un terrain de jeu à la mesure de leur prodigieux talent protéiforme,changeant sans arrêt de milieu,de costume,de maquillage et de registre.A cet égard c'est Gassman qui se montre le plus extravagant,campant tantôt un mendiant en guenilles trimbalant un perroquet sur l'épaule,un vieil avocat plus que retors,un boxeur abruti par les coups reçus et même une éditrice du style cougar.Parmi les meilleurs segments se détachent "Comme un père",dans lequel un homme se pointe en pleine nuit chez son meilleur ami afin de lui confier ses doutes quant à la fidélité de son épouse.On devine très vite le twist qui adviendra à la fin mais ça rend paradoxalement l'histoire plus délicieusement jouissive encore."Le pauvre soldat" est également au top avec ce militaire découvrant que sa soeur assassinée était une call girl de luxe."La journée d'un parlementaire" vitriole salement les moeurs politiques et la corruption qui va avec."Le témoin volontaire" présente un hilarant retournement de situation opéré par un avocat vicelard au possible et détruit allègrement la confiance qu'on peut avoir en "la justice de son pays"."La victime",qui conte une rupture amoureuse,est d'un cynisme génialement atroce et "On oublie vite",où des bourgeois regardent un film dans lequel des soldats allemands exécutent de pauvres gens,est carrément horrible et horriblement désopilant."L'opium du peuple",qui raconte un adultère risqué, se moque avec délectation de l'asservissement à la télévision tandis que le film se termine sur le pathétique "Le noble art" et le funeste destin d'un boxeur loser.De bons seconds rôles apparaissent au gré des séquences,notamment Lando Buzzanca,Marisa Merlini ou la magnifique Michèle Mercier,notre Angélique nationale,tandis que le gamin du sketch inaugural n'est autre que Ricky Tognazzi,le vrai fils d'Ugo,qui fera plus tard une carrière d'acteur et de réalisateur.Et puis on peut savourer lors des scènes de plages de délicieuses canzonettas maritimes ensoleillées.